• Ruines des tours jumelles et projet de mémorial © DR

  • Genbaku Dome © Dmitrij Rodionov

  • Cathédrale de Coventry © Andrew Walker

  • Cimetière américain de Normandie © Rick Steves

  • Eglise du souvenir de Berlin © DR

  • Oradour-sur-Glane © Olivier Laban-Mattei

Architecture

Le 11 septembre et les ruines comme mémoriaux aux « innocents »

Lester Levine est consultant en management et écrivain à Chapel Hill en Caroline du Nord. En 2003, il a participé avec son épouse au concours de design du mémorial du 11 septembre à New York, une forme de thérapie personnelle ; ils connaissaient tous deux des personnes qui furent tuées. De nombreuses années plus tard, il apprit que les 5 201 propositions de projets, de 63 pays différents, étaient « vivantes » dans une archive internet, et il les consulta toutes. Il est devenu la première personne à lire chacune de ces propositions. Le résultat, « 9/11 Memorial Visions: Innovative Concepts from the 2003 World Trade Center Site Memorial Competition », fût publié en 2016. Alors que le numéro 418 de L’Architecture d’Aujourd’hui se concentre sur les vestiges, Lester Levine donne son opinion sur le lien entre mémoriaux et ruines.

Pour comprendre comment un mémorial du 11 septembre peut être lié aux « ruines », nous devons d’abord considérer l’histoire des mémoriaux de lieux marqués par de nombreuses morts, principalement de la guerre.

La mort des soldats n’est pas inattendue. Les mémoriaux en hommage à ces morts sont le plus souvent construits sur le lieu précis où ils se sont battus – les champs, les bois, les plages – comme à Ypres en Belgique, en Normandie en France, à Leipzig en Allemagne, à Fogliano Redipuglia en Italie, à Volgograd (Stalingrad) en Russie et à Gettysburg aux Etats-Unis, qui comprennent souvent des cimetières.

En revanche, les mémoriaux à propos des morts massives d’« innocents », des civils – victimes dans leur vie quotidienne –, ont évolué différemment. C’est seulement depuis la Seconde Guerre mondiale, qu’un grand nombre de civils a été délibérément visé par la guerre moderne. Les ruines de bâtiments importants, proches de ces événements, sont devenus des rappels spectaculaires de ces morts. Les plus connus sont la cathédrale de Coventry en Angleterre et le dôme de Genbaku (Mémorial de la Paix d’Hiroshima) au Japon.

La cathédrale de Coventry est aujourd’hui en ruines, bombardée durant le « Blitz » de 1940 par la Luftwaffe. De la même manière, à Berlin, les ruines de l’église du souvenir, victimes du bombardement allié, restent intactes.

Le dôme de Genbaku était le bâtiment le plus proche de l’hypocentre de la bombe atomique, restant encore miraculeusement debout. Il se trouve dans l’ancien quartier commercial et résidentiel le plus animé du centre-ville, maintenant appelé le parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima, non seulement pour honorer les victimes, mais aussi pour rappeler le souvenir des horreurs nucléaires et prôner la paix dans le monde.

Moins connues, mais certainement aussi frappantes, les ruines de la Seconde Guerre mondiale en France, en Allemagne et en Russie. En France, il y a les vestiges d’Oradour-sur-Glane, un village dont les habitants furent massacrés et les bâtiments rasés par l’armée allemande. Après la guerre, Charles de Gaulle le déclara « village martyr », où les visiteurs sont priés de rester silencieux jusqu’à leur départ.

Saut en avant jusqu’à 2001 et les événements du 11 septembre, à New York. Plus de 2 500 innocents sont morts ce jour-là, lors de la destruction des tours jumelles du World Trace Center. En 2003, un concours international fut organisé pour concevoir un mémorial à cet événement. Plus de 5 000 projets furent proposés, de plus de 60 pays et 49 des 50 états américains. Je suis la seule personne a les avoir tous lu, en faisant des recherches pour mon livre « 9/11 Memorial Visions » publié en 2016. Puisque cette attaque visait les iconiques tours jumelles, la question des ruines est devenue majeure dans la conception du mémorial.

Les ruines du bâtiment étaient spécifiquement mentionnées dans l’appel à projet, pour « transmettre l’histoire de manière authentique […] le mémorial et la zone alentour peuvent inclure […] des restes d’éléments d’origine ». L’« élément » le plus souvent inclus dans les projets était la structure filigrane de la façade, montrée de manière frappante dans les photos suivant l’attaque.

Pouvez-vous imaginer si cette structure était le mémorial aujourd’hui ? Il a été suggéré, non sans ironie, que le design était inspiré de l’art islamique, ce qui rendit furieux Oussama Ben Laden, planificateur des attaques.

Certains proposaient que les restes de la façade deviennent l’élément principal du mémorial. Le plus imaginatif des projets, noté dans mon livre, transformait l’objet en une gigantesque structure de vitraux, engendrant des couleurs dansantes à travers le site.

Plusieurs autres propositions ont préféré utiliser les éléments « en forme de fourche » du noyau en soubassement de la façade, comme des rappels saisissants du bâtiment, dans le cadre d’une conception à plusieurs parties.

Comme prévu, les éléments de façade ne font pas partie du mémorial, mais ils sont gardés dans le musée du 11 septembre ; des artefacts historiques plutôt qu’une quelconque représentation, même implicite, des victimes.

Et la pièce maîtresse du mémorial n’est pas les ruines elles-mêmes, mais les délimitations de l’empreinte au sol du bâtiment, incarnée par des « vides » qui évoquent les souvenirs de personnes disparues.

Il est intéressant que des centaines de vestiges d’acier des tours soient gardées et distribuées. Ils ont été utilisés dans la plupart des 1 100 mémoriaux du 11 septembre à travers le monde.

Ils se dressent aujourd’hui tels des ruines abstraites du 11 septembre. Mais sans le contexte de la façade, pourraient-elles maladroitement suggérer la mort des bâtiments autant, voire plus que celle des personnes – surtout d’ici 50 ans ? L’avenir le dira.

Lester Levine, avril 2017

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Mémorial du 11 Septembre de Kennewick © City of Kennewick – The Fife Free Press