« 3% »
Alors que les écoles d’architecture se mobilisent à nouveau pour dénoncer les conditions déplorables qui sont les leurs pour former les architectes de demain, l’architecte et professeur Matthieu Poitevin, enseignant à l’ENSA Marseille, se demandent à quoi elles servent désormais dans un monde où « les algorithmes auront tôt fait de rendre obsolète ce penseur de ville et cet agitateur de vie que devrait être l’architecte ». Tribune.
Il faut supprimer les écoles d’architecture, elles ne servent plus à rien.
Elles avaient du sens quand les architectes pensaient pouvoir changer le monde ou, à défaut, le rendre meilleur, quand les collectivités et les bailleurs avaient de quoi financer des projets qu’ils souhaitaient innovants et pertinents.
Mais il n’y a plus d’argent pour les projets publics et l’audace des projets privés est réduite à des bâtiments marketés.
Les critiques d’architecture dignes de ce nom se battent contre le courant pour faire valoir ce qu’il reste de qualité dans ce métier malgré l’adversité, les autres se répandent dans des écritures convenues sur le net et au mieux se font le témoin de collectifs qui pensent résister au monde comme il va, à coups de palettes de chantiers et de containers de bons sentiments.
Quoi qu’il en soit, l’intelligence artificielle a déjà commencé à dégommer tout ça. Des algorithmes sont créés pour proposer le logement le plus adapté à la cible visée. On ne fait plus de projet pour des gens, on propose un produit à un client. L’architecte libéral sert la soupe au commanditaire pour lui permettre de faire tourner son bilan.
Sa seule visibilité, son étendard, c’est d’aller se faire voir, dans les salons où l’on imagine bien comment il y est considéré. Il ne représente au mieux que 3% du bilan d’une opération. Comment alors ces 3% peuvent-ils prétendre avoir le moindre poids ? Ces algorithmes auront tôt fait de rendre obsolète ce penseur de ville et cet agitateur de vie que devrait être l’architecte.
On en est là.
Mais voici qu’arrive la grève des ENSA qui formulent maladroitement leur colère. Et cette colère, naïve et corporatiste à souhait, rend ce mouvement dérisoire.
À croire que Macron a raison de penser que l’architecture n’est plus une discipline culturelle mais un strict outil d’accompagnement à la transition écologique. Sa logique de baisse des crédits est d’entraîner les écoles d’architecture vers un modèle anglo-saxon : des écoles privatisées en totalité. Il faut se rendre compte de ce que cela signifie. L’enseignement de l’architecture ne sera plus un service public, plus une priorité de la République.
Quel monde laisserons-nous alors ?
Quelle machine fera preuve d’intuition et d’audace ?
Quel logiciel prendra le risque d’expérimenter ?
Que se passera-t-il si l’on essaie plus rien ?
Si l’on ne revendique plus rien d’autre que son confort personnel ?
Si l’on ne projette plus le monde pour le rendre meilleur ?
Si le monde est laissé à des spécialistes plutôt qu’à des rêveurs ?
C’est simple pourtant : il en mourra.
Si elles ne sont plus que des chapelles de professionnels aigris et d’universitaires déconnectés, les écoles d’architecture disparaîtront et l’architecture dans leur sillon. Le poids administratif et financier finira d’ensevelir les possibilités de faire.
Mais, en premier lieu, qu’en disent nos étudiants ? À lire leurs déclarations, à force de communiqués de presse, leur ambition est de mener des études confortables pour accéder à une vie professionnelle conformiste. Si telle est leur ambition, ils feraient mieux de se former dans une école de commerce.
Cela préfigure-t-il une ville sans œuvre ? Faire œuvre, c’est contraindre le réel à l’idée du monde tel qu’on l’imagine, pour y trouver sa place.
Comment redonner de la noblesse à ce métier bafoué ? Notre seule quête, c’est la recherche de la beauté, et non la performance programmatique, technique ou financière.
L’école d’architecture est le dernier endroit où l’on peut rêver la ville telle qu’elle pourrait être, autrement. Où l’on peut rêver la vie de manière collégiale et transdisciplinaire.
Encore faut-il le faire ! Il faut le faire encore !
Matthieu Poitevin pour L’Architecture d’Aujourd’hui, Février 2020 Le site web de L'Architecture d'Aujourd'hui accueille les propos de tous ceux qui souhaitent s'exprimer sur l'actualité architecturale. Les tribunes publiées n'engagent que leurs auteurs.
On trouvera salutaire d’avoir ici un résumé précis avec historique de la situation, on comprendra quels regrets de ne pas voir défiler des stars de la scène (et non au pluriel) internationale, mais on regrettera que dans une tribune de sept pages publiées dans une revue spécialisée d’architecture on n’ait pu goûter aux enjeux d’aujourd’hui qu’à travers « le changement climatique et la raréfaction des ressources » (qui en si peu de mots explicite la position de l’auteur sur le sujet) et qu’il n’ait pas eu la bonté de nous partager la saveur des réflexions théoriques dont il déplore l’absence.
Enfin, n’opposons pas stérilement « abstraction » et « professionnalisation » : une voie autre existe qui fait vivre le débat théorique en le nourrissant d’une compréhension fine des enjeux de la « discipline » (répétition du vocable qui trahirait l’exigence impérative de penser l’acte de bâtir comme avant tout et presque exclusivement redevable de la seule cervelle d’architecte), compréhension fine que nous pouvons ne pas faire confondre avec formation professionnalisante.
Si les écoles d’architecture ne servent plus à rien, pourquoi y enseignez-vous encore ?
Si le système est pourri, pourquoi ne le quittez-vous pas ?
Bonjour Monsieur, il me semble que vous souhaitiez publier ce commentaire sur la tribune de Matthieu Poitevin plutôt ?
Cordialement, AA.
Tout est dit. J’y adhère.
Étudiantes en écoles national supérieur d’architecture, j’ai du mal à comprendre le manque de remise en question de l’enseignement même de l’architecture. Des cours qui n’ont aucun liens, des enseignants qui vous expliquent que vous apprenez par les autres élèves et non pas par eux, un manque de communication flagrant entre enseignants qui provoque des tension ou mieux, des cours voulu différents qui se répéteront mots pour mots sur 3 semestres.
Vous posez la question de la recherche dans ses écoles, Je ne suis pas encore à ce stade, mais aucun lien n’est fait entre les cycles, au point même que les choix des différents master ne sont connus que lors de la rentrée en master. Résultat, aucun lien non plus à l’étranger.
Tout ceci peine à constituer un enseignement, ou du moins une base commune entre chaque école, et peine à nous préparer à une carrière autre que petit architecte de bureau français.