Leçon d’Addis-Abeba aux Européens
À Addis-Abeba, l’université du Bauhaus de Weimar travaille à restituer leur cadre de vie aux civils résidant dans des zones de conflit via la réalisation de projets expérimentaux. Offrant dans le même temps une véritable étude de cas aux Européens confrontés à la crise des réfugiés. Une tribune de Dirk Donath.
Depuis 2008, les étudiants de l’université du Bauhaus de Weimar et ceux de l’université d’Addis-Abeba œuvrent conjointement à la conception de projets visionnaires dans les domaines de l’urbanisme et de l’architecture, mais aussi à la réalisation de projets expérimentaux de grande envergure, plaçant les habitants, les actions sociales et les besoins fondamentaux au centre de leurs préoccupations. La capitale éthiopienne, hyperurbanisée et en rapide expansion, exige des solutions sur-mesure, car la cohésion sociale dans les quartiers existants (dits « sécurisés » et implantés par Ménélik II à l’époque de la fondation d’Addis-Abeba en 1886) est fragilisée par la désagrégation du tissu urbain établi (bidonvilles) au profit de grands ensembles résidentiels impersonnels (condominiums), dépourvus de tout contenu historique.
Face à la pénurie de ressources (matériaux de construction et énergie grise) et à la multiplication des défis écologiques, tant au niveau local que mondial, la réalisation de logements demande une attention toute particulière. À Addis-Abeba, nous avons fait appel à des modes de conception de pointe (approche paramétrique, BIM, analyse computationnelle) pour traduire les besoins humains et les problématiques écologiques en solutions adaptables, à même d’alimenter un marché de la construction en pleine expansion.
Entre 2012 et 2014, trois habitations expérimentales ont été construites dans la capitale éthiopienne. Les étudiants, enseignants et chercheurs des deux universités ont analysé les habitudes de la population et défini trois solutions d’hébergement issues de considérations culturelles et sociales. Ce qui leur permet de répondre avec une grande souplesse à différents scénarios d’occupation. Le premier, Secu, est un projet centré sur l’usage de ressources issues de l’agriculture dans la construction ; il est entièrement composé de panneaux de paille compressée. Le deuxième, Sicu, est un prototype basé sur un dispositif préfabriqué et enfin, Macu, est un système de pièces détachées issu d’une conception paramétrique, les deux projets permettant aux habitants de construire leur habitation eux-mêmes. Le mode de construction mis en place répond à des enjeux de durabilité économique, culturelle et sociale tout en respectant les modes de vie, et en intégrant dans le tissu existant des techniques contemporaines. Les habitants contribuent au projet en mobilisant leurs propres compétences, des techniques adaptables au contexte actuel, ainsi qu’en mobilisant leurs propres ressources financières, afin de parachever les projets en fonction de leurs besoins et de leurs désirs. Parallèlement, des programmes de construction sont mis en place par le gouvernement éthiopien pour permettre aux propriétaires et à leur famille de ne pas quitter l’environnement dans lequel ils vivent depuis des décennies et où ils ont bâti les structures sociales dont ils tirent leurs moyens de subsistance.
À l’aune d’une décennie d’échanges culturels et technologiques entre deux cultures très différentes, l’afflux de réfugiés en Europe doit être envisagé comme une immense opportunité de mise en œuvre de démarches éprouvées ailleurs, basées sur l’intégration respectueuse et minutieuse de nouveaux arrivants dans leurs environnements géographiques et culturels d’accueil. Le principal objectif de toute stratégie urbaine et architecturale étant de soulager les maux des nouveaux arrivants et de leur offrir un toit.
Alors que la plupart des programmes de planification en matière de logements sociaux ont échoué en Europe, il est impératif d’imaginer la mise en place de nouvelles stratégies. Le savoir-faire et les compétences tirés des expériences menées dans les secteurs de l’urbanisme et de l’architecture à la fois traditionnels et contemporains en Éthiopie pourraient aider l’Europe à sortir de l’impasse. Les valeurs sociales inhérentes à la société éthiopienne pourraient être transposées et adaptées pour répondre aux besoins actuels d’un tissu social européen en pleine mutation. La crise des réfugiés est un phénomène mondial qui doit être résolu internationalement en ménageant les sensibilités culturelles et en transcendant les frontières. En ouvrant ce domaine de recherche aux étudiants allemands et éthiopiens, nous aidons la future génération de décideurs à dessiner son avenir.
Dirk Donath
Biographie de l’auteur
Professeur à l’université du Bauhaus de Weimar, en Allemagne, et titulaire d’une chaire en systèmes de planification à la faculté d’architecture, Dirk Donath enseigne depuis 2008 en tant que professeur invité dans le domaine de la construction de bâtiments à l’EiABC, l’Institut éthiopien d’architecture, de construction de bâtiments et de développement urbain à l’université d’Addis-Abeba. En se basant sur un projet de recherche international, « concept-test-réalisation » (2012-2014) il construit des maisons pour les zones urbaines en Éthiopie qui sont autant de propositions réalistes et orientées vers l’avenir. Le prototype SICU a remporté le 3e prix du Global Holcim Awards en 2014.
Son projet a été publié dans le Hors-Série AA Events – Holcim Awards 2014, à découvrir sur la boutique en ligne.
Félicitations à Mario Camargo et Luis Tombé !