Entretien avec Alfonso Femia autour des Docks de Marseille
En novembre 2017, le salon Batimat lance, en partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui, la première édition de Regard sur l’Architecture, un ouvrage et un cycle de rencontres, pour réfléchir à la place de l’usager dans la fabrique de la ville. Le centre commercial Les Docks, situé dans le quartier de la Joliette à Marseille, fait partie des projets publiés. Le bâtiment a été élu “meilleur centre commercial” lors de la cérémonie des MIPIM Awards 2016. Entretien avec Alfonso Femia, l’architecte de ce nouvel espace public au cœur de la cité phocéenne.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Les Docks (Marseille) fait partie des réalisations présentées dans « Regard ». Que pensez-vous de cette initiative éditoriale menée par Batimat ?
Alfonso Femia : Je crois que l’on doit toujours raconter le projet et le faire comprendre à tous. Il est aussi important d’expliquer le processus qui a amené à la réalisation du projet. Parler des objectifs, des contraintes, des ambitions, des difficultés, de la cohérence entre le projet et la réalisation, du dialogue entre les acteurs du projet : du maître d’ouvrage aux artisans, qui ont tous contribué à sa réalisation.
Ainsi, il est très important pour moi de pouvoir en parler ici, grâce à l’initiative de Batimat, en collaboration avec AA.
AA : Sur ce projet spécifique, quel était le principal défi rencontré et comment l’avez-vous résolu ?
AF : Le défi principal a été de ne pas trahir le corps et l’âme des Docks tout en réussissant à lui donner une âme en continuité avec son histoire et à travers sa nouvelle identité. Dès le début du projet, j’ai toujours voulu faire des Docks un lieu de destination et non pas un lieu de transition ou de simple passage. Pour arriver à cela, les Docks devaient devenir un lieu « public » où les gens puissent se sentir à Marseille, au coeur de la Méditerranée, « chez » les Docks.
Tout le travail sur la matière, dans un dialogue continu avec un artiste (Danilo Trogu), des artisans, des entreprises industrielles, une entreprise de construction, la bureaucratie française, le maître d’ouvrage, a été un défi encore plus grand. Démontrer que l’on peut, même en France avec toutes ses règles bloquantes (certifications, sécurité…) sur la matière, encore travailler dans une « renaissance » du projet ; un projet créé dans un processus ouvert à la recherche, à la spécificité, à la richesse de l’histoire et de la contemporanéité. Nous avons réussi à la faire : dans les délais et dans le budget. Nous avons créé un lieu de découverte(s) et de surprise(s), grâce à un travail d’équipe.
Et c’est ça que j’aime. Le projet doit se souvenir de l’autre. Il doit entrer en dialogue avec l’empathie des personnes.
AA : Votre projet illustre une problématique essentielle : l’adaptation de l’architecture à l’appropriation. Comment avez-vous intégré les questions d’usages dans votre projet ?
AF : Travailler sur le patrimoine, sur l’existant est le vrai lieu de l’imaginaire, de l’invention. En effet, nous vivons dans une société devenue une société de règles, pas une société de contraintes. Les règles ne permettent pas de développer une pensée, alors que les contraintes nous y obligent. Ainsi, pouvoir penser un usage différent pour un bâtiment né pour assouvir d’autres fonctions, dans un contexte différent, avec des espaces héroïques, des épaisseurs, des dimensions, est extraordinaire. Cela nous donne la possibilité de continuer à penser des lieux extraordinaires. Pour Les Docks, comme je le fais pour chaque projet de réhabilitation, j’ai regardé et écouté le bâtiment afin de proposer un projet qui n’entrait pas en conflit ou prévaloir sur l’identité des Docks. Nous avons déclaré toutes nos actions au bâtiment, nous l’avons ouvert pour le rendre poreux et perméable au flux et à la lumière, là où était possible. On a introduit le nouveau système “vital” des techniques et gaines et, lors de ces deux actions, nous avons mis en scène la Méditerranée, l’idée d’un espace de merveille mais proche de nous tous grâce à la céramique, la nature, le bois, la pierre, les oeuvres d’art, les mots… la lumière.
Pour en savoir plus sur le travail et la démarche d’Alfonso Femia : atelierfemia.com
Pour en savoir plus sur la démarche Regard sur l’Architecture, rendez-vous sur le site de Batimat.
L’Architecture d’Aujourd’hui organise aussi des visites guidées thématiques à destination des architectes pendant le salon. Pour découvrir les parcours et vous inscrire, cliquez ici.