Luchtsingel Bridge par Zone Urbaine Sensible
Le Luchtsingel Bridge est une passerelle temporaire de 390 mètres de long au nord de Rotterdam. Inaugurée en 2015, elle traverse un immeuble de bureaux anciennement vacant, et connecte trois quartiers qui avaient été séparés par les opérations d’urbanisme d’après-guerre. Retour sur un projet hors-norme, avec des images inédites de l’agence ZUS (Zones Urbaines Sensibles).
Au 20ème siècle, Rotterdam est un des fleurons de l’architecture moderne. La destruction quasi complète de la ville lors de la Seconde Guerre Mondiale et une inondation historique en 1953 entraînent une politique de tabula rasa, nécessaire aux expérimentations d’une utopie post-moderne, où les architectes ont joué un rôle très important. Rotterdam est aujourd’hui une ville construite davantage pour les voitures, avec de grandes allées de voies rapides, bordées d’immeubles de bureaux.
Mais la frénésie d’extension de la ville et les crises successives ont donné lieu à une vacance conséquente de certains bâtiments. En 2007, Elma van Boxel et Kristian Koreman de l’agence ZUS repèrent un immeuble de bureaux vide dans le District Central, le Schieblock. D’un premier article critique sur la situation urbaine, ils montent une exposition manifeste à la Biennale d’Architecture de Venise 2008, avant d’engager un processus légal pour prendre le droit d’occuper le bâtiment.
En 2011, le plan d’urbanisme du District Central de Rotterdam est abandonné. À l’initiative de la ville, et de la Biennale d’Architecture de Rotterdam, l’agence néerlandaise ZUS lance la démarche I Make Rotterdam, une nouvelle façon d’envisager l’urbanisme au travers d’interventions à petite échelle et participatives. Le quartier est renommé Test Site Rotterdam, et 18 interventions y sont prévues.
Pour les relier entre elles, ZUS dessine le Luchtsingel Bridge. Peint en jaune pour symboliser son caractère temporaire, il est financé en partie par une opération de crowdfunding en 2011. Chacun pouvait financer une planche en bois comme un module complet, pour une somme allant de 25 à 1250 euros, et choisir d’y graver un message. Au final, ce sont plus de 8 000 planches qui ont été vendues. En 2012, le Luchtsingel a également remporté le prix Rotterdam City Initiative, qui a permis de continuer à financer sa construction.
Une première section du Luchtsingel Bridge est construite en 2012 pour la Biennale. La construction se déroule au total en 6 phases, et s’achève en 2014. Plus qu’un pont, c’est le quartier complet qui est aménagé : sur le toit du Schieblock, l’immeuble de bureaux traversé par la passerelle, s’installe une ferme urbaine, DakAkker ; la cour située à l’arrière du bâtiment, Delfstehof, est aujourd’hui un lieu majeur d’événements dans le quartier ; le parc Pompenburg, au pied de la passerelle, mêle parc pour enfants et agriculture urbaine ; la gare de Hofplein, désaffectée depuis quelques années, est en cours de transformation.
Assumant pleinement que la ville moderne est vouée à être détruite et à se reconstruire sur elle-même, ZUS a conçu le Luchtsingel Bridge pour qu’il dure 15 ans. Aujourd’hui, une nouvelle dynamique est lancée dans le quartier, et le Schieblock affiche un taux de remplissage de 90%. Les images actuelles de la passerelle sont bien la preuve qu’elle est empruntée et adoptée. La question suivante se pose alors : une structure temporaire peut-elle devenir une installation permanente ?
Face à un urbanisme instantané, rythmé par les crises et porté par des grandes corporations, ZUS développe une pensée de la « permanent temporality ». Au travers de projets spontanés, Elma van Boxel et Kristian Koreman proposent de construire la ville par l’expérimentation, via des interventions temporaires.
Pour en savoir plus sur la démarche de ZUS : www.zus.cc
Par Jacob Durand