Confiné.e.s : And Studio
Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles.
Aujourd’hui, les réponses de l’agence franco-chinoise And Studio, fondée par Duccio Cardelli et Ning Wang, qui ont livré il y a quelques mois la rénovation et l’extension d’une ancienne friche industrielle en centre culturel d’environ 15 000 m², le Yangtze River Roadshow Centre, par ailleurs nommé aux Grand Prix AFEX 2020.
And Studio : Avec une agence à Paris et une agence à Shanghai, nos confinements ont été en « décalé » : lors du confinement chinois l’équipe parisienne pouvait continuer à travailler normalement et maintenant c’est le contraire. Comme tout le monde, nous communiquons grâce à des outils numériques (WeChat, conference calls…). Ce n’est pas une grande nouveauté pour nous de gérer cette distance. Ce qui est charmant c’est qu’à travers la vidéo, on nous laisse apercevoir un peu de l’intimité des gens, autant qu’eux peuvent entrapercevoir la nôtre : un poster de Duran Duran relique d’enfance, un chat qui renverse le café, un enfant qui rigole…
Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
L’architecture est l’art par excellence de définir l’espace, et du coup « confiner », « circonscrire » le vide. Pour ce faire, il faut prendre connaissance du lieu, de la lumière, de la culture locale si le site de trouve à l’étranger… Le métier d’architecte est avant tout un métier d’appréhension puis de restitution pour que le projet soit le plus contextualisé possible
Non, du coup, le confinement n’aide pas !
Créer des villes depuis sa chambre en regardant la façade en face de l’immeuble voisin, en imaginant des parcs, des routes, des bâtiments, des plein et des vides, sans même pas avoir été sur place, avoir pris connaissance du lieu, c’est un peu absurde.
Notre situation me rappelle le dialogue fictif imaginé par Italo Calvino entre Marco Polo et l’empereur Kublai Khan dans lequel Italo Calvino invente des villes imaginaires de manière confuse en mélangeant souvenirs et fantasmes. Le confinement dans l’architecture pousse à la création d’une architecture basée sur nos souvenir d’expériences vécues, sur des connaissances que nous avons déjà et celles que nous pouvons trouver sur la toile. On crée une architecture à bout portant, limitée par le gabarit d’une fenêtre physique ou dimensionnelle.
Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
Au regard des derniers relevés dans nos métropoles, qui indiquent une forte baisse de la pollution, je pense que notre planète nous remercie ! La crise sanitaire que nous vivons maintenant n’est en tout cas pas comparable à la crise écologique dont nous voyons déjà les effets aujourd’hui. Les architectes et urbanistes ont un rôle à jouer pour réduire l’impact écologique des projets urbains et immobiliers. Nous égrenons nos traces sur le territoire, traces qui ont vocation à perdurer, et qui ont un impact sur l’environnement, du plus petit cabanon au complexe hôtelier. Nous devons être responsables et promouvoir l’utilisation de modes constructifs plus durables.
Un film à voir / un livre à lire pendant le confinement ?
La lecture ou la relecture de Fenêtre, Chroniques du regard et de l’intime de Gérard Wajcman. Ce psychanalyste, théoricien du regard, nous offre une formidable odyssée de l’histoire de la fenêtre depuis la Renaissance et la fenêtre d’Alberti jusqu’à nos jours. En période de confinement, elle est pour beaucoup, notre seule ouverture sur le monde extérieur, elle élargit notre horizon.
Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Puisque manger est devenu une des activités principales en confinement @Famousformydinnerparties un magazine en ligne qui questionne les cultures culinaires. @Chineseplating pour « pimper » la présentation des plats chinois @Docomomo tout compte confondu pour découvrir les vestiges pas toujours protégés du patrimoine architectural du XXe siècle.
Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Comme dans d’autres secteurs, nous apprenons à travailler autrement. On nous demande souvent de faire 16 heures de vol pour assister une réunion de 30 minutes, même quand on propose d’organiser une visioconférence… Espérons que maintenant nous apprendrons tous à travailler autrement !
Quel impact a ce confinement sur la perception de votre espace de travail et, inversement, de votre espace domestique ?
J’ai peur que nous ne soyons plus tellement en mesure de dissocier quoi que ce soit après 30 jours de télétravail ! Mais cette frustration génère aussi l’envie de se lancer dans des travaux dans nos logements respectifs. Comme si nous les avions laissés « en jachère », nous redécouvrons que nos appartements n’ont pas évolué en même temps que nous et que nous avons envie de les retransformer.
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And Studio, Yangtze River Roadshow Centre, Shanghai, 2020.