© Luc Boegly Synagogue du Centre Européen du Judaïsme
© Luc Boegly
Synagogue du Centre Européen du Judaïsme

Architecture

Construire un Centre Européen du Judaïsme

Cet avant-propos signé par l'architecte Stéphane Maupin est extrait du hors-série AA consacré au Centre Européen du Judaïsme - un projet qu'il réalisa avec Bruno Fléchet, Nicolas Hugon et Félix Wetzstein. Ce numéro spécial de L'Architecture d'Aujourd'hui est disponible sur notre boutique en ligne.

La commande débute en 2007, à la demande d’un ami : « J’ai un projet, mais il sera dur, long, et pénible… Un truc impossible que quiconque refuserait immédiatement ! » Avec Bruno Fléchet, on accepta instantanément.

Je ne sais toujours pas aujourd’hui si c’était l’erreur ou l’opportunité d’une vie. On dessina une première esquisse qui fit rire les services de la Ville : « Vos architectes ne connaissent ni la bande E, ni la bande Z, ni les gabarits enveloppe en limite de propriété… »

Au bout d’un an, l’ami se transforma en maître d’ouvrage. Et la commande directe devint concours. Obligatoire, puisque ce favoritisme de marché privé faisait jaser la communauté. On gagna le concours. Puis plus rien.
Après un an de mutisme, le maître d’ouvrage muta, et nous allions rencontrer le grand Sachem avec l’espoir d’un redémarrage. « Bonjour, nous devons déposer le PC dans un mois, sinon nous perdons le terrain que la mairie nous offre. »
Ce projet incertain renaissait, et nous devions en traiter toute la complexité en seulement 30 jours ! Nous sommes le 1er août. Au 1er septembre, le projet était sur la table à défaut d’être allé sur la plage.

Le ton était donné. Ce projet serait une suite d’impromptus. Nous étions en plein Bach. La partition serait invariablement transformée au gré des fêtes, des amis du maître d’ouvrage, de la pluie, des femmes, des aléas…

Il n’en manqua pas en 14 ans.
Les études furent reprises 3 fois. Le permis de construire obtenu au forcing. Après 8 appels d’offres infructueux auprès des meilleures firmes, les 3 macros-lots devinrent des lots séparés avec l’éclosion de 20 établissements à gérer, accompagnés de leurs 20 sous-traitants.
Le sol apparu pollué contre toute attente. L’ouvrage, initialement édifié en prémurs, en manqua dès la sortie du sous-sol et tout le bâtiment chavira, heureusement, en béton coulé. Au premier étage, la même entreprise facétieuse s’aperçut qu’elle ne savait pas construire la pièce principale, la synagogue.

 

©Stéphane Maupin Croquis de la synagogue du CEJ, Fusain
©Stéphane Maupin
Croquis de la synagogue du CEJ, Fusain

 

On en changea le dessin, en 3 semaines, en plein chantier, sans CCTP et sans nouveaux marchés, simplement avec un “tope là” autour d’une poignée de mains chaleureuses.
Vint le temps du financier. La banque, nécessiteuse, bloqua des papiers de garantie de paiement pendant 8 mois et par là, l’avancement du chantier, avec un gros œuvre quasiment terminé. Une faillite électrique succéda et entraîna 3 mois d’immobilisation supplémentaire.

Vint le temps des errements de la « féminité »… Où le vitrage devint vitrail, sous le regard délicieux d’une Ève aveugle. Un motif ? Oh oui ! Des fleurs ? Oh oui ! Un artiste ? Oh non !
Encore 24 mois d’hésitations pour terminer un clôt couvert cruellement absent car « ce que femme veut, si Dieu ne le veut pas, le diable du moins y aide ». Pour raconter l’histoire, j’ai simplifié toutes mes plaies du chantier. Bien sûr, les grenouilles, les moustiques, les mouches, les furoncles, la grêle, les sauterelles, les ténèbres ont jalonné toute la construction. Bâtir pour Dieu s’arpente le long d’un chemin parcouru d’embûches.

 

© Emmanuel Barrois Vitraux du CEJ © Stéphane Maupin
© Emmanuel Barrois Vitraux du CEJ
© Stéphane Maupin

 

Étant un architecte mal armé pour aborder l’herméneutique religieuse mystérieuse, j’ai donc imaginé, avec Bruno Fléchet, une construction prométhéenne tout aussi passionnante. Le Centre Européen du Judaïsme est une fille de Pandore où l’indicible réside dans une boîte en béton. Rien ne se voit, mais tout se dévoile. Le bâtiment se livre par l’intérieur. Il a cette particularité de se déchiffrer dans tous les sens depuis son centre.
Si, habituellement, le visiteur embrasse un bâtiment par une lecture frontale, l’appréhension de celui-ci s’effectue de gauche à droite, de haut en bas, du Nadir au Zénith, de l’Orient à l’Occident…
Ce bâtiment est cinématographique. Il est « Inception ». Les failles, le vide, les plis s’enchaînent dans divers retournements fusionnant plafond et sol. On est dehors, puis dedans, puis dehors, puis dedans, puis dehors, puis dedans… Et en même temps dessous, dessus, dessous. Sens dessus dessous dans un univers tout en rebondissements.
Ce dispositif crée des correspondances et des continuités spatiales inhabituelles. On ne touche plus terre ! Quoi de plus normal pour un ouvrage qui veut tutoyer les cieux. L’architecture ne s’exerce qu’à travers les forces d’attractions. On a souhaité que ce Centre en soit un révélateur. Qu’il soit au milieu de tensions révélant des connexions invisibles. Que pendant un instant, un visiteur soit soustrait à la gravité universelle pour faire face à l’Éternel. Que l’on y flotte ! Avec un pied sur les nuages, la tête dans le ciment.

Ce bâtiment ouvre la porte à l’imagination, à la poésie, la rêverie que chacun est en droit d’attendre dans la cité, comme à l’Olympe.

 

© Stéphane Maupin Centre Européen du Judaïsme
© Stéphane Maupin
Centre Européen du Judaïsme

 

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