Station F, © Intégral Ruedi Baur
Station F, © Intégral Ruedi Baur
Station F, © Intégral Ruedi Baur
Ruedi Baur, en lettres et en chiffres
Le designer franco-suisse Ruedi Baur jongle depuis plus de trente ans entre les projets de scénographie, d’identité visuelle et de signalétique, en France comme à l’étranger. Il s’est notamment fait remarquer avec l’identité visuelle haute en couleurs du Centre Pompidou en 2001, la signalétique en volume de la New School à New York en 2014 ou encore 10 kilomètres de poésie dans la ville de Mons en 2015, en collaboration avec l’artiste Karelle Ménine. Son dernier projet en date : la signalétique de la Station F, ce nouveau campus de start-up installé dans l’ancienne halle Freyssinet (Paris, 13e). L’occasion de découvrir comment Ruedi Baur travaille.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Classée depuis 2012 à l’Inventaire des Monuments Historiques, la halle Freyssinet est remarquable pour sa structure en béton armé précontraint réalisée entre 1927 et 1929 par l’ingénieur Eugène Freyssinet. Aujourd’hui rebaptisée Station F, la halle, divisée en trois nefs parallèles de 310 mètres de long, accueille « le plus grand campus de start-up au monde » : 34 000 m2 de bureaux, salles de réunions, restaurants et espaces événementiels. En quoi a consisté votre projet de signalétique au sein de la Station F ?
Ruedi Baur : C’est l’agence Wilmotte & Associés qui était chargé de la maitrise d’œuvre de la Station F, de la réhabilitation de la structure existante à l’architecture intérieure ; l’organisation spatiale repose sur une nef centrale libre tandis que les deux nefs latérales accueillent l’ensemble du programme fonctionnel sous forme de huit « villages » de trois étages chacun. Cette disposition est visible dès l’entrée du campus. Avec mon studio Intégral, nous avons donc proposé de grandes enseignes lumineuses qui structurent l’espace. Nous avons créé une typographie spécialement pour ce projet et l’avons utilisée de plusieurs façons au sein du bâtiment : il y a des inscriptions en noir et en blanc, trois tailles de corps, et cette typographie est aussi adaptée aux trois enseignes lumineuses « Station F » à l’extérieur ainsi qu’au chiffrage en néons à l’intérieur délimitant les espaces de travail des start-up ou « villages ».
AA : Quelles ont été vos inspirations pour créer la signalétique de la Station F ?
RB : La halle Freyssinet est un bâtiment historique et industriel. Il nous fallait faire le lien entre cet univers industriel et l’univers numérique des start-up. Nous avons réalisé un travail de soustraction : nous avons retiré des éléments dans une typographie plus dense au départ pour aboutir à un projet dans la retenu, et non dans le minimalisme. Nous nous sommes glisser dans le « très peu » qui était présent. Nous devions également répondre à des problématiques de lisibilité à très grandes distances, ce fut un challenge car il y a plus de 300 mètres entre l’entrée et l’extrémité de la halle. Nos inscriptions devaient être lisibles sans être agressives, et avec une certaine élégance.
AA : À quel moment du projet architectural êtes-vous intervenu ?
RB : Dans le cas de la Station F, notre intervention a été tardive. Notre approche de la signalétique est rapportée à l’architecture, de même que mobilier, les luminaires ou la décoration. Il arrive que, parfois, nous intervenions sur des projets architecturaux dès la phase de conception. Il existe une synergie entre l’architecture et les inscriptions. Plus le projet est complexe, plus nous devons élaborer un projet minimal et en rapport avec l’existant.
AA : Vous avez créé le studio Intégral Ruedi Baur Paris en 1989, intégrant aujourd’hui une équipe d’un dizaine de personnes qui travaillent sur tous vos projets. Comment vous organisez-vous ? En quoi consiste votre démarche de designer-typographe ?
RB : Mon équipe est composée de graphistes et de typographes qui sont chargés du dessin de la lettre, et d’autres qui travaillent sur l’objet en interaction avec l’architecture : la surface, le volume, la tridimensionnalité. La particularité de notre démarche repose sur notre apport, l’inscription dans un lieu, donner de l’intelligibilité et une atmosphère à ce lieu. Nous travaillons toujours en osmose avec l’architecture et surtout avec l’usage du lieu.
Lorsque nous travaillons pour un hôpital ou une station de métro, des projets complexes, nous devons intégrer le fonctionnement du lieu dans la signalétique tout en respectant des contraintes de durabilité et de temporalité. Notre objectif est de mettre en place une orientation naturelle dans le bâtiment en nommant les espaces à l’aide de chiffres ou d’images. La désorientation est liée à la peur et au stress, lorsqu’on est à l’aise dans un lieu, on s’y retrouve plus facilement. Dans le cas de la Station F, comme le bâtiment est facilement lisible pour les usagers, les inscriptions restent simples.
AA : Avez-vous parfois des retours de la part des usagers des bâtiments dans lesquels vous êtes intervenus ?
RB : Il nous arrive d’avoir des retours des usagers et nous pratiquons également les bâtiments dans lesquels nous intervenons. Nous nous questionnons parfois sur l’anticipation que nous faisons des usages : devons-nous tout figer avant la prise d’usage ? Parfois, nous installons une signalétique temporaire, la « culture des papiers » posés ça et là pour s’orienter au départ, et ensuite nous réalisons les éléments nécessaires de façon plus durable. Par exemple, au sein de la Station F, nous nous sommes demandé s’il fallait indiquer le nom des entreprises installées et des personnes qui y travaillent : nous avons finalement décidé de ne pas le faire afin de laisser plus de liberté d’appropriation aux usagers.
AA : Quels sont vos projets en cours ?
RB : Nous travaillons actuellement sur l’hôpital de Monaco, les métros du Grand Paris Express (conception d’un système d’informations voyageurs des lignes du futur métro du Grand Paris, 2022-2030) ainsi que la Pavillon français à la Foire du Livre de Francfort – cette année, la France est le pays invité d’honneur –, qui se tiendra du 11 au 15 octobre 2017.
Entretien réalisé par Laurie Picout le 20 septembre 2017