La leçon de Will Alsop, par Aldric Beckmann
Décédé le 12 mai dernier à l’âge de 70 ans, l’architecte britannique Will Alsop, auteur de l’iconique Peckham Library à Londres, avait inspiré toute une génération d’architectes, et ce au-delà des frontière du Royaume-Uni, ainsi qu’en témoigne cet hommage de l’architecte français Aldric Beckmann.
« L’impression grandissante de vivre dans un cloaque humain d’où surgissent parfois en de rares et magiques instants, quelques formes lumineuses, de véritables êtres, de véritables devenirs devrais-je dire, des incarnations sauvages de la vérité, celle qui se fait, se pense, se vit, se fabrique, se conditionne en dehors de toute médiocrité normative, largement au-dessus de ce grouillement brouhaha chaotique d’androïdes sociaux, simple bruit de fond évolutionniste dont le sens ne peut être donné que par de telles apparitions, de telles fulgurances supérieures. »
Maurice G. Dantec, Le théâtre des opérations. Journal métaphysique et polémique, 1999
Pourquoi Will Alsop ?
Pourquoi aller rechercher Will Alsop à Londres dans ce studio de Battersea ?
Peut-être déjà en raison d’un penchant obsessionnel pour les esprits libres et, à travers quelques rencontres, pour des personnages qui paraissent étranges et atypiques et qui, petit à petit, vous révèlent leur volonté d’architecture, partagent avec vous une vie chargée d’émotions, en relation étroite avec le danger, en résistance sans limite face à la convenance, le bienveillant, le bon goût éternel, le bien établi, les penchants partagés moralistes…
Will Alsop, poète d’une architecture et d’une démarche singulière qui agacent ou qui font sourire.
Peut-être aussi par besoin d’émotions à l’heure d’un art mis en danger par les visions idéalistes de trop nombreux architectes, baignés dans les derniers stigmates d’une architecture faussement visionnaire, basée sur une multitude de dogmes confus et erronés. L’architecture de Will Alsop, me semble t-il, se retrouve ailleurs. Mais où ?
Difficile à appréhender…
Une question se pose alors devant une telle équivocité et indétermination : qu’est-ce que l’architecture en tant qu’architecture ? Quel est l’être de l’architecture et qu’est-ce qui assure sa possibilité et son existence ?
Probablement la découverte d’une pensée chez cet être qui pose implicitement ou explicitement ces questions et qui cherche à donner une réponse qui rende consistant le territoire des sens que l’architecture traverse.
La peinture aussi aura été son médium et le vin, son arôme.
Composé selon Galilée «d’humeur et de lumière», ces grappes de raisin enferment les rayons du soleil. Fruit et sang de la terre, le vin concentre et exprime cette culture de la libation et de la convivialité, une longue plongée dans l’imagination et la matière.
Partager du temps avec Will Alsop c’est un peu se promettre de toujours recommencer, d’aller par son chemin, de ne pas écouter les conseillers attentifs pleins de sollicitude, de se méfier de toutes les évidences, de continuer à avoir peur, d’être inquiet, de ne jamais être sûr de rien, de s’inquiéter du respect et se garder de la fausse insolence, d’haïr la parodie, de se souvenir , de ne jamais oublier de tricher, de dire la vérité et ne plus s’en vanter, d’abandonner les voies rapides et suivre les traces incertaines, de prendre son temps, de lutter contre la médiocrité, de ne pas craindre l’affrontement, de résister.
Merci Will pour ton éducation, ce rapport maître-élève qui m’a donné des ailes pour travailler non par dogmatisme identitaire mais par infiltrations, passion et fantasmes, obligé en permanence à l’exploit au sein d’une architecture française dynamique et florissante jouissant d’une latitude grandissante dans des carcans de plus en plus étroits.
Une tribune d’Aldric Beckmann.