L’expression citoyenne de FAT
Fondée en 1990, dissoute en 2013, FAT – Fashion Architecture Taste – était une agence londonienne aux réalisations postmodernes flamboyantes. « FAT a toujours été un medium critique plutôt qu’une agence conventionnelle. » Parmi ses fondamentaux, l’ornement et le décor endossaient un rôle sémiologique assumé, ainsi que le souligne ici l’un de ses anciens associés, Sam Jacob, commentant un projet emblématique de FAT, un centre culturel livré il y a douze ans à Hoogvliet, au sud de Rotterdam.
Pour FAT, décorer était un acte, une attitude radicale vis-à-vis de l’architecture. Nous y voyions un moyen de questionner le goût. Et à travers le goût, nous abordions les problèmes politiques de valeur et de classe, ainsi que les possibilités pour l’architecture d’agir comme un moyen d’expression. À une époque où la culture architecturale donnait la priorité à la complexité formelle, nous étions engagés dans une approche alternative où la surface et son traitement pouvaient s’articuler. «Taste not Space» («le goût, pas l’espace ») était notre mantra de l’époque.
Avec le projet Heerlijkheid, nous avons pu tester ces idées en grandeur nature et dans un contexte collectif et social. Composé d’un bâtiment principal inscrit dans un parc paysager, la Villa, l’ensemble remplit les fonctions de centre civique et artistique. Sa commande visait à équiper la ville néerlandaise d’Hoogvliet, créée après la guerre, d’un pôle citoyen.
Comme dans la plupart des projets de FAT, nous sommes partis de l’idée de raconter le contexte au sens large. Physiquement, le site est environné d’un paysage bucolique situé en bordure d’autoroute, à proximité de la plus grande raffinerie de pétrole d’Europe. À l’époque, Hoogvliet souffrait d’un problème d’image. Non seulement cette commune éloignée de Rotterdam n’était pas suffisamment dotée en équipements municipaux, mais, de plus, rien n’assurait la cohésion de ses différentes « composantes démographiques ». Produire une «image» à une échelle architecturale et urbaine fut donc notre principale préoccupation. Une image dont la fonction consisterait à donner forme à l’expression citoyenne d’une collectivité et d’une localité enracinée dans une réalité donnée.
En soi, la Villa n’est, d’une certaine façon, qu’un simple hangar industriel. Elle appartient à la famille des bâtiments sans caractère – et bon marché – que l’on trouve partout dans le monde le long des autoroutes. Mais ici sa dimension décorative et expressive en fait un édifice parlant, et tout à fait spécifique au contexte d’Hoogvliet. Le dessin oscille délibérément entre ces deux états, ordinaire et particulier à la fois, propres à cette ville.
Le bâtiment est revêtu d’une enveloppe figurative en bois. À l’instar d’une bande dessinée, sa ligne graphique raconte l’histoire d’Hoogvliet à mesure que l’on tourne autour de l’édifice. Au-dessus de l’entrée, une série de lignes évoquent les tuyaux et les cheminées de la raffinerie de pétrole que l’on devine au-delà du parc, et qui fut la raison d’être de la ville. Se prolongeant, le revêtement évoque les toits en dents de scie des bâtiments industriels, des infrastructures portuaires et la cime des arbres formant la mémoire bucolique du lieu.
Le bâtiment fait ainsi référence au paysage d’Hoogvliet. Plus encore, le récit offert par l’enveloppe inscrit ces références dans une architecture qui raconte une histoire opérant à la manière d’un futur partagé, une sorte d’architecture punk- pop, citoyenne et contemporaine. Ainsi se dessine une nouvelle image de la ville dont l’objectif est de rassembler les différents publics qui utiliseront le bâtiment.
Le trait le plus marquant de la Villa est son entrée principale, qui représente de façon extrêmement figurative la clairière d’une forêt dorée, à la fois naturelle (pour sa référence) et artificielle, industrielle (pour son attraction et sa matérialité). L’intérieur de la Villa poursuit cette dualité, avec ses allures de hangar aspirant intensément à la décoration, sa structure en acier d’un rose éclatant, et ses ouvertures encadrées par les détails figuratifs de l’enveloppe extérieure.
Comme il se doit pour un bâtiment conçu en étroite collaboration avec la collectivité, et comptant bien tenir ses ambitieuses promesses d’être ce que les constructivistes appelaient un « condensateur social », l’édifice accueille toutes sortes d’événements, mariages, circoncisions, soirées dansantes, concours de maraîchage, ainsi que des activités pédagogiques destinés aux écoliers comme aux étudiants de l’université.
Le parc dans lequel s’intègre la Villa est un remake suburbain des somptueux paysages allégoriques d’une aristocratie oubliée. Il comprend des ponts, des bancs, des pièces d’eau disposés plus ou moins naturellement. Ses folies sont des «cabanes de jeu» à l’usage des habitants, ses ponts sont comme des exclamations de fierté civique sur les panneaux d’affichage, et ses sculptures sont des stands de barbecue, des tables de pique-nique roses, et des maisons en osier perpétuellement reconstruites par les enfants des écoles. Une sorte de paysage pittoresque façon Nintendo.
C’est l’approche décorative du projet Heerlijkheid («délice» en néerlandais) qui crée son armature sociale. Son architecture parlante encadre autant qu’elle autorise des usages très divers, en leur servant de décor au sens théâtral du terme, et d’équipement qui anticipe les usages collectifs. Son langage visuel est rattaché à une démarche de «joli cation agressive », pour reprendre les termes de Denise Scott Brown, afin d’affirmer une identité collective au travers d’un usage quotidien.
Korteknie Stuhlmacher Architecten (architectes d’exécution)
Programme : Salle polyvalente, bureaux et un café
Surface : La Villa : 700 m2
Surface totale du parc : 5,4 hectares
Livraison : 2007
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Cet article écrit par Sam Jacob est extrait du numéro 429 d’AA, « Ornements, icônes et symboles », disponible en librairies et sur notre boutique en ligne.