Le généraliste, le chirurgien et l’architecte
Par Laurence Ravoux,
graphiste et architecte de formation
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Lorsqu’il achève son cursus scolaire pour exercer son métier, l’architecte, en vertu de son diplôme, est estimé capable de répondre à toutes les demandes. Parce que son champ d’exercice ne lui est pas dicté par un classement, il peut aussi bien être le généraliste, le chirurgien ou encore l’urgentiste, quand il s’attache par exemple au logement social.
Ce métier que je ne pratique pas mais pour lequel j’ai le plus profond attachement parce que c’est ma formation, est-il reconnu à sa juste fonction ?
Tout comme cet enseignant que l’on n’a pas oublié, celui qui nous aura prêté ce livre, celui qui nous aura écouté attentivement un jour, entre deux cours. Tout comme ce médecin chez qui on se rend pour une angine ou une grippe, parce qu’il est dans le quartier ou sur la recommandation d’un ami, et qui saura, avec calme et bienveillance, écouter, rassurer et soigner. On aura peut-être une fois dans sa vie croisé l’architecte qui aura su projeter nos simples désirs ou nos rêves les plus fous sur le dessin de cette maison dans laquelle nous nous réveillons, depuis, avec bonheur, chaque matin.
Mais, la plupart du temps, celui-là qui aura dessiné un balcon un peu plus large, celui qui aura lutté, et je pèse mes mots, pour que le salon soit pourvu de deux fenêtres au lieu d’une seule ou que la salle de bain soit éclairée par la lumière naturelle, cet architecte-là, on ne le connaît pas, il n’est pas connu, on ne l’a pas choisi, on ne l’aura pas rencontré.
Il peut s’agir du même. Il n’a pas nécessairement besoin d’être connu ou reconnu pour tout ce qu’il entreprend, mais cette profession qu’il a choisie, elle, en a besoin.
L’architecture n’est pas seulement une opération à cœur ouvert, une insémination artificielle ou une trithérapie. L’architecte soigne aussi des rhumes.
L’architecte ne veut pas faire son œuvre à chaque coin de rue, à chaque angle de mur. Il faut le rappeler, il a besoin qu’on le dise. L’architecte a un savoir unique. Il exerce un regard, un œil, une oreille aussi, il puise, il glane, il utilise ses sens, riches de son expérience, pour produire des espaces qui deviendront des lieux une fois habités.
Pour comprendre ce qu’il apporte et pour lui faire confiance, il faut se souvenir des cabanes construites lorsque nous étions enfants. Il faut se souvenir de la maison de son grand-père, et si on ne l’a pas connue, il faut se l’imaginer. Habiter c’est à la fois ancestral et magique. Il doit y avoir de la poésie dans tout ça…
Je salue, ici, ce médecin que j’ai connu, cet enseignant, cet architecte, et tous ceux qui ne souhaitent pas être vus, ni connus, mais exercer leur métier et qu’on leur fasse confiance pour ça. Parce que ce sont ceux-là les plus nombreux et, sans nul doute, ceux dont on parle le moins.
Signalétique intérieure, Conseil Général de l’Hérault, Zaha Hadid Architects, 2012.
Signalétique, espace des Arènes Francis San Juan, architectes : Ferrier Marchetti Studio et CoO architectes, Lunel, 2017.
Identité visuelle, logotype, typographie, signalétique, affiches, flyers, papeterie, stickers, site internet, pour Waaw, Marseille, 2010.
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Laurence Ravoux est architecte de formation, graphiste et photographe. Installée comme designer graphique indépendante à Montpellier en 2002, elle travaille pour des commanditaires publics et privés dans les domaines de l’édition, la communication visuelle, l’habillage graphique et la signalétique. Elle est directrice artistique de L’Architecture d’Aujourd’hui depuis 2017.
Bel article agréable à lire.
Habité de bon sens