105 logements, ilôt 5 ZAC de La Jaguère, Rezé (44). ©Stéphane Chalmeau
105 logements, ilôt 5 ZAC de La Jaguère, Rezé (44)
©Stéphane Chalmeau

Confiné·es

Confiné.e.s : Guinée*Potin

Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles.
Aujourd’hui, les réponses de l’architecte Hervé Potin – co-fondateur de l’agence Guinée*Potin avec Anne-Flore Guinée.

 

Hervé Potin et Anne-Flore Guinée.
Hervé Potin et Anne-Flore Guinée.

L’Architecture d’Aujourd’hui : Où êtes-vous confiné et comment vous êtes-vous organisé pour poursuivre votre activité ?
Hervé Potin : Anne-Flore et moi (nous partageons notre vie professionnelle et notre vie privée) sommes confinés à Nantes, dans notre appartement, avec nos deux enfants qui sont respectivement en élémentaire et au collège et qui de sont vaillants sportifs, gymnaste et footballeur. Autant dire que ça déménage ! Mais comme nous habitons à 200 mètres de l’agence, nous faisons des rotations quotidiennes pour y aller, en alternance, car il faut également assurer les devoirs des enfants, et poursuivre pour ma part la continuité pédagogique avec mes étudiants de l’ENSA Nantes.
Nous nous retrouvons ensemble à l’agence toutes les fins d’après midi de 16h à 19h, pour faire un point quotidien.
Il n’y a personne d’autres au bureau, toute l’équipe (nous sommes une dizaine) est en télétravail… Nous avons installé les logiciels pour travailler à distance dès le 13/03.
Nous échappons pour le moment au chômage partiel, car même si les chantiers sont à l’arrêt ou au ralenti, les études se poursuivent grâce aux maîtres d’ouvrage (publics et privés) qui ne ralentissent pas le rythme des études, et c’est tant mieux!

Ce confinement a-t-il un impact sur votre perception de votre espace domestique ?
Nous n’avons pas de jardin mais nous sommes conscients de la chance que nous avons de vivre dans un appartement ancien avec une hauteur sous plafond de 3.40m. Malgré son grand âge – il a été construit en 1790 – il n’a pas subi de transformations majeures, et sa partition est restée telle qu’à l’origine, avec sa grande cuisine en tommettes de terres cuites rouges positionnée à l’extrémité de l’appartement. Avant le confinement, nous imaginions créer une petite pièce “buanderie” (très fonctionnaliste) en second jour au sein de la cuisine, pour y mettre chaudière, chauffe-eau, lave-linge et sèche linge, mais finalement après ces semaines de repli dans l’appartement, il nous semble plus judicieux de laisser ce beau volume tel quel, et de s’accommoder de l’existant. Au quotidien, nous habitons dans le centre ville et sommes très proches de nos bureaux, c’est un luxe. C’est pratique aussi, quand il faut y retourner travailler le soir, ou le week-end.

Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
Oui c’est une évidence. Le télétravail n’est vraiment pas collaboratif ; on se rend compte jour après jour de l’importance de se voir tous ensemble, de la dimension informelle et spontanée qui nous lie, où l’on discute sur les plans, devant les maquettes, où l’on échange devant les écrans d’ordinateurs. Pour l’enseignement, c’est similaire ; assurer la continuité pédagogique des cours, c’est une chose, mais échanger avec les étudiants sur leurs projets, avec des maquettes, une approche sensible de la matière, c’est vraiment compliqué. L’architecture, c’est un sport collectif  ! Le télétravail impose un vrai travail d’écriture entre chacune et chacun, pour être juste, éloquent, tout en restant aimable. C’est un exercice qui demande alors beaucoup de temps, afin de peser ses mots, de conscientiser, de réfléchir à ce que l’on va écrire, afin de ne pas être trop rugueux, voire de blesser l’autre.

Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
On entend dire par les éditorialistes que plus rien ne sera comme avant. Je n’y crois pas, et je ne suis pas très optimiste.
On a dit la même chose après Fukushima et l’industrie du nucléaire se porte toujours aussi bien. Après la crise financière de 2008 on a parlé de la fin du capitalisme sauvage, d’une régulation des marchés et d’une éthique bancaire mais les flux et les spéculations financières sont toujours aussi importantes, quant à l’éthique bancaire….
Un film à voir / un livre à lire pendant le confinement ?
Un film : Stalker, de Andreï Tarkovski. Ne sommes-nous pas tous un peu des Stalker en ce moment ? Nos villes désertées ne sont-elles pas la « zone » confinée dans laquelle le droit de circulation est interdit ?
Un livre : L’architecture du jour d’après, de Toyō Itō. À la suite du tsunami et du drame de Fukushima, Toyō Itō conscientise le drame écologique et fait un virage conceptuel à 180°; c’est éloquent ! Et notamment ce qui est touchant, c’est qu’il reconsidère la notion de lien à tisser entre les êtres humains après des drames, et la nécessité de prendre en compte ce qui fait « homme », le chagrin, la blessure, la tristesse, mais aussi cette lueur d’espoir qu’il a au fond de lui, avec une propension à essayer d’aller mieux, à chercher des solutions. Et pour ce faire, Toyō Itō explique ce travail d’écoute préliminaire, puis l’aide qui sera mise en place. Cette façon d’agir, « de penser l’architecture et les liens humains » qui va se transformer en remèdes, en antidotes pour les habitants.

Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Sur Instagram, le compte d’un ami galeriste, passionné et collectionneur de mobilier XXe, XXIe à Paris, rue de Montmorency @a1043_. Voir du « beau » chaque jour est une forme de thérapie et une échappatoire au confinement.

Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Les masques tomberont peut-être !

 

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