Les temps et les lieux de Jean Nouvel à Paris
Parmi les architectes contemporains, Jean Nouvel est sans doute celui qui a le plus bâti à Paris. Et L’Architecture d’Aujourd’hui aura fidèlement publié les alliances (et mésalliances) entre l’architecte français et sa capitale.
Cet article de Jean-Louis Violeau est extrait du dossier paru dans le n° 439 de L'Architecture d'Aujourd'hui, consacré au 90e anniversaire de la revue.
Des débuts en banlieue, ludiques et colorés
Jean Nouvel et Paris, c’est une histoire qui commence en banlieue. Forcément : le post-modernisme architectural aura, en effet, d’abord attaqué progressivement la banlieue au cours des années 1970, avant de parader triomphalement dans l’intra-muros tout au long de la décennie suivante. C’est donc à Bezons que l’histoire commence avec une clinique « de jeunesse » carrossée comme un wagon de chemin de fer. La tôle d’aluminium donne l’illusion moderne du sain et du propre, c’est ce qui compte. Elle parle. L’intérieur est blanc, laqué et parcouru de tubes d’Inox éclatants et de salles de contrôle issues d’un film de Jacques Tati. Sous la façade rassurante, le doute est permis. C’est curieux, l’hospitalier, Nouvel n’y remettra (pratiquement) jamais les pieds, alors que chacun sait qu’il y a là un créneau où il est parfois aussi difficile d’entrer que de sortir.
L’histoire se poursuit en cette même année 1980 à Antony, où l’architecte rencontre pour quelques années « son » maire, le communiste André Aubry qui prit la suite de l’ex-PSU Georges Suant. Son collège Anne-Frank joue avec les ordres et la composition, c’est évident. Il est ironique : ses 3 000 panneaux préfabriqués sont numérotés ; contre le fonctionnalisme, l’attaque est frontale. D’une rigueur excessive, cette trame devient prétexte à l’expression d’une foule de jeux décoratifs, lumineux et savants qui n’ont cependant rien de correct. Néons et damiers, fausses colonnes, suspendues et tronquées, Diane antique moulée, bustes au plafond, tout y est, au gré d’une complicité assumée avec le plasticien Pierre-Martin Jacot, coloriste et numéroteur : le « 1 % » n’y connaît pas de limites, ni spatiales ni stylistiques. L’entrée est une piste balisée au sol, comme sur l’aéroport voisin d’Orly.
Le hall de quatre niveaux est parcouru de passerelles et scandé par une grande résille orthogonale de néons d’un rouge criard. La nuit venue, la grille s’inverse en signe lumineux pour s’animer, comme un écran dans la ville. La signalétique reprend celle des bords de route. Sans oublier les bustes renversés des pères de l’église laïque, de Jules Ferry à Ferdinand Buisson, sans compter les morceaux de moulures incrustés entre les parpaings… L’architecture doit parler, coûte que coûte, critiquer, initier, dénoncer, interroger, en premier lieu la trame existentielle d’un collégien. C’est une oeuvre de jeunesse (Jean Nouvel, alors âgé de 35 ans, était diplômé depuis huit ans seulement) pour les jeunes.
Dans le prolongement, à quelques rues de là et en lisière d’un petit bois, il y aura, en 1984, le trop méconnu centre de loisirs des Godets. L’architecte y multiplie formellement les objets au fil d’une verrière translucide qui offre une succession d’ambiances colorées. Comme un livre pour enfants, c’est une architecture au trait forcé.
En 1981, le concours, sans suite pour l’agence, même s’il vit François Barré s’associer directement à Jean Nouvel, pour 150 logements à la porte de Bagnolet, se situait indéniablement dans cette famille de projets méconnus, se jouant avec une grande liberté du savant et du populaire avec des réminiscences d’Op art. L’architecte y transférait les rugueuses catégories d’analyse issues de la sociologie de l’habitat, avec « un devant et un derrière, un dedans et un dehors, un haut et un bas » pour ses logements, cachant et préservant en même temps qu’il représentait et donnait à voir. Le fait d’habiter Bagnolet : Nouvel aura longtemps tenté de refaire la ville (et non de la prolonger) à partir de morceaux qui n’en sont pas. Même si son atterrissage était très acrobatique, entre les bras du gigantesque échangeur inachevé, le projet-coléoptère pour le concours, au même endroit, pour la « salle de musiques populaires » (1983, remporté par Claude Vasconi) avait déjà au même moment quelque chose de plus lisse et plus carrossé, tout comme le projet pour le ministère des Finances à Bercy (1982) ou pour la galerie informatique du parc de la Villette (1985).
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