Une galerie rêvée 1/5 : Bruno Fontana
Dans le hors-série « L’Architecture est un territoire » publié par L’Architecture d’Aujourd’hui et consacré au travail de l’architecte Rémy Marciano, ce dernier était invité à imaginer sa « galerie rêvée » – un musée de papier qui expose cinq artistes et leurs œuvres. Premier de cette collection, le photographe Bruno Fontana connu notamment pour sa série Typologies, inventaire d’architectures modestes et standardisées.
Voici l'interview menée par Jean-Philippe Hugron et parue dans le hors-série « L'Architecture est un territoire », numéro disponible sur notre boutique en ligne.
Curieux de l’architecture « en série » et chantre de l’inventaire, Bruno Fontana, artiste, joue des formes bâties silencieuses dans l’idée, peut-être, de les rendre un peu plus loquaces. Dans le détail, elles racontent en effet comment chacun s’y installe, comment chacun y évolue. Montrer la sérialité permet ainsi d’exacerber l’individualité.
Votre œuvre répond-elle d’une dimension manifeste ? Si oui, laquelle ?
La série Typologies répond à la volonté de porter un regard neutre sur des architectures, de parler d’histoire et de patrimoine collectif. Nous pourrions résumer ces objets par une production sérielle et une conception à des fins fonctionnelles. Des cités ouvrières, des lotissements, des maisons de garde-barrière, il s’agit souvent de constructions dupliquées qui, par l’effet de leur répétition, invitent à une observation minutieuse. Le traitement et la présentation sérielle met en valeur à la fois les points communs et les différences, c’est ainsi que se manifestent les formes d’appropriation des occupants, les subtiles touches personnelles qui rendent chaque habitat unique.
Existe-t-il aujourd’hui une fascination pour la laideur ? Nos yeux sont-ils capables de deviner un peu de poésie dans la banalité ? Cherchez vous, in fine, à rendre beau ce qui ne l’est pas dans la conscience collective ?
Je vois là deux questions. La première se pose sur le statut des choses que nous voyons fréquemment. Elles font tellement partie de notre quotidien que notre regard habitué est devenu incapable de les apprécier. En effet, le banal, l’ordinaire a perdu toute valeur au profit de « l’exotique ». L’autre question porte sur la laideur – notion subjective – qui peut qualifier mes sujets. En effet, ils ne semblent chargés d’aucune valeur esthétique, et pourtant, dans ma série Concrete Forms par exemple, le bloc de béton extrait de son contexte devient dès lors un objet sculptural.
Concernant ma série sur les silos agricoles (Silent Forms), la forme architecturale a été conçue pour répondre à des besoins techniques sans contraintes esthétiques. Cependant, laides ou belles, ces formes ne laissent pas indifférent. D’ailleurs, Gropius et Le Corbusier avaient déjà utilisé les silos pour illustrer leurs discours théoriques qui dénonçaient les excès ornementaux de l’architecture académique en prônant « l’exigence de la beauté de la forme extérieure ».
Quelle était alors votre intention dans la série Urban Wallpapers ?
Elle traite d’immeubles dont la trame graphique peut être répétée à l’infini. C’est ainsi que s’effectue cette double-lecture. À distance, ces photographies montrent une surface graphique, colorée, presque abstraite. En revanche, en s’approchant, on s’aperçoit qu’il s’agit d’immeubles avec leurs unités d’habitation, on découvre progressivement des formes de vie : une fenêtre ouverte, un parasol, du linge… Ce sont justement ces touches qui m’intéressent, parce que inconsciemment elles défient l’écrasante logique graphique. La question principale n’est pas la dénonciation ou la sublimation d’une architecture banale mais la place de l’humain dans cet environnement et les formes d’appropriation que l’œil curieux y verra. Cette séduisante surface ne masque-t-elle pas les conditions de vie de ses habitants ?
Quelle place accordez-vous à l’architecture contemporaine dans votre travail ?
Je m’intéresse principalement aux architectures vieillissantes car, chargées d’histoires, elles nous parlent d’une époque. Comme dans un travail de mémoire, j’aime dire qu’elles font partie d’un
patrimoine collectif. Ce sont justement les architectures les plus modestes et banales qui parlent le mieux de nous. Elles portent l’expression de nos usages. Même si elle m’intéresse beaucoup, l’architecture contemporaine n’a pas encore traversé le temps, elle a besoin de vieillir, d’être apprivoisées par ses occupants. Mes travaux actuels portent sur les différentes phases de construction
d’un bâtiment mais aussi sur les formes industrielles. Une fois de plus, j’établis un inventaire d’objets sans valeur esthétique manifeste. C’est à travers ce regard porté sur le « faber » que j’appréhende les nouvelles architectures.
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