Venise, pavillon français : vous avez dit communautés ?
À vos agendas : 22 mai, ouverture de la 17e édition de la Biennale d’architecture de Venise, coûte que coûte. Rendue muette l’année dernière par la crise sanitaire, la grand-messe de l’architecture pourra finalement être dite. Ainsi se tenait ce mercredi 3 mars la présentation, en ligne bien sûr, du pavillon français par son commissaire Christophe Hutin qui, associé à deux chercheurs, Tiphaine Abenia et Daniel Estevez, souhaite mettre en lumière « les communautés à l’œuvre ».
Répondant à la question posée par le commissaire de la Biennale Hashim Sarkis, « Comment vivrons-nous ensemble ? », Christophe Hutin choisit la preuve par l’exemple. Son exposition Les communautés à l’œuvre se veut un panorama « joyeux et optimiste » de différentes réalisations et projets de recherches qu’il mène depuis 20 ans à Bordeaux, Détroit, Hanoï, Buenos Aires, ou encore Johannesburg – où, à chaque fois, « l’aspect performatif des usages » est central. « L’architecture n’est pas une fin en soi, elle abrite la vie. À celle-là qui a été confinée, malmenée, notre architecture propose un processus de déconfinement et d’émancipation. » C’est cette architecture de l’empowerment que défend Christophe Hutin, qui ne craint pas de marteler son approche sociale de la discipline : « Nous proposons de transformer, avec les communautés, les lieux habités. Leur participation n’est pas un palliatif à l’absence de démocratie, mais bien un préalable à tout projet. Dans nos projets, la résilience est à l’œuvre. Nous proposons de rendre l’architecture aux habitants. »
Ce dialogue avec les habitants n’est pas tout. Il se double d’une pensée qui milite pour des échanges « interculturels », selon un processus, n’ayons pas peur des mots, de « créolisation », selon l’architecte, citant Édouard Glissant. « Les situations rencontrées en miroir se renseignent les uns les autres. Cette exposition a un caractère international assumé. »
Pour cela, l’exposition montre six études de cas, provenant de différentes contrées du globe, réalisées par l’architecte — la transformation de 530 logements de trois bâtiments de l’ensemble Grand-Parc à Bordeaux, avec Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, modèle en son genre et inévitable référence ou encore la transformation de 93 maisons à Mérignac-Beutre — ou par les habitants eux-mêmes. C’est le cas, par exemple, des extensions vernaculaires d’immeubles de logement que l’architecte et son équipe sont allés documenter à Hanoï, parallèle évident avec sa propre pratique à Bordeaux. Autre cas à l’étude, l’aménagement d’une parcelle en espace public dans le quartier de South West, à Detroit aux États-Unis, remise à la disposition des habitants.
Et pour la forme ? Le cinéma demeure, pour l’architecte, le « meilleur outil pour exposer la vie ». Aidé des espaces fermés sur eux-mêmes du pavillon français de 1912, Christophe Hutin projette, mur à mur, des séries de films composés en triptyque, dans une volonté de scénographie « immersive », « au cœur des communautés filmées ». À l’entrée du pavillon, sur la façade, seront montrés une fresque de Giandomenico Tiepolo, Il Mondo nuovo (1791) en miroir d’une photographie d’un orphelinat conçu par l’architecte à Soweto. Ce parallèle entre ces images peintes et la réalité se poursuivra dans l’espace central à l’entrée du pavillon, où le commissaire propose une réinterprétation contemporaine de la fresque Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement (1338-1339) visible à Sienne, à l’aide d’images de chantiers collectifs. Au milieu se tiendront conférences, débats, mais aussi performances.
Fidèle allié de l’exposition d’architecture, le catalogue publié aux éditions La Découverte ne se veut pas une synthèse du propos de l’exposition, mais fait œuvre d’un « travail didactique », selon la chercheuse Tiphaine Abenia, « qui vient, dans un premier temps, décrire des faits et ensuite, énoncer les propos théoriques qui soutiennent ces actions ». Une fois n’est pas coutume, il apparaît que c’est dans ce travail de théorisation que pourrait se nicher une des richesses du travail de Christophe Hutin et de ses équipes : rappeler qu’il existe de véritables théories à ces démarches — « l’improvisation, le structuralisme en architecture, la pédagogie émancipatrice, la performativité » — évite de plonger le propos dans une bienveillance bienheureuse où il suffirait à l’architecte occidental de prendre l’avion pour être inspiré. En attendant, en avant la communauté, rendez-vous à Venise.
Anastasia de Villepin
Pour en savoir plus : www.christophehutin.com