Maison de la sagesse, entretien avec Yasaman Esmaili
Faire renaître une tradition du IXe siècle, sauver l’architecture vernaculaire, faire coexister le séculier et le religieux… Douce prière que celle de l’ensemble Hikma, composé d’une bibliothèque et d’une mosquée, livré en 2018 par l’Atelier Masōmī avec le Studio Chahar à Dandaji, dans le sud du Niger. Une maison de la sagesse contemporaine présentée ici par l’architecte iranienne Yasaman Esmaili, fondatrice du Studio Chahar.
Pourriez-vous nous rappeler l’origine du projet et ce qui vous a poussé à travailler avec Mariam Kamara?
Nous nous sommes rencontrés lorsque nous étions étudiantes à l’École d’architecture de l’Université de Washington. Au cours de nos études, nous avons collaboré dans un studio de design et après l’obtention de notre diplôme, nous avons fondé, avec deux autres architectes (E. Golden et P. Starter), united4design, un collectif de design avec lequel nous avons travaillé sur un projet de logement au Niger et collaboré à quelques autres initiatives internationales. Grâce à ces collaborations, notre passion commune pour le design communautaire et la conscience culturelle nous ont amenés à travailler ensemble pour concevoir Hikma.
La communauté de Dandaji nous a informés qu’elle prévoyait de remplacer l’ancien bâtiment par une mosquée plus récente, plus spacieuse et plus contemporaine. Compte tenu de l’importance architecturale et historique du bâtiment qui a été construit par le défunt maître maçon El Hadji Falke Barmou, lauréat de l’Aga Khan Award for Architecture en 1986 pour une mosquée similaire située dans la ville de Yamaa, nous avons cherché des moyens de préserver le bâtiment. Après plusieurs rencontres avec la communauté, ils ont été convaincus de changer le plan initial. Une fois le projet de destruction du bâtiment abandonné, les chefs de village étaient ouverts à la discussion à propos de la transformation de l’espace en quelque chose de nouveau, à condition qu’une nouvelle mosquée soit construite sur le site.
Pour établir un programme solide qui profiterait à la communauté, divers groupes ont été invités à faire part de leurs réflexions sur les différents types d’activités dont ils avaient besoin pour progresser dans leur vie. Pour les élèves du collège, c’était l’accès aux livres, à des endroits pour les lire, l’amélioration de leurs compétences linguistiques et l’apprentissage du monde extérieur. Pour les enseignants, ce qui était important, c’était la création d’espaces stimulants permettant à leurs élèves d’étudier en groupes, loin des distractions familiales. Les femmes du village souhaitaient avoir accès à des cours d’alphabétisation et de comptabilité de base et disposer d’espaces adaptés pour des atelier de transformations de produits où elles pourraient apprendre des choses comme transformer leur cacahuète en huile ou en beurre d’arachide pour ensuite les vendre sur le marché. Suite à ces conversations, il a donc été décidé qu’une nouvelle mosquée serait construite, que l’ancienne serait rénovée et réhabilitée en bibliothèque et qu’un campus relierait les deux bâtiments.
Comment le patrimoine et l’architecture vernaculaire s’intègrent-ils au projet ?
Le projet a été lancé pour sauver un patrimoine architectural menacé, la mosquée existante de Dandaji. La nouvelle mosquée est conçue en réinterprétant la disposition de base et la géométrie architecturale des mosquées existantes dans la région et utilise des matériaux contemporains disponibles, y compris des blocs de terre comprimée, de l’acier et du béton, pour créer une intervention directement liée à l’ordre structurel de l’ancienne mosquée.
Au-delà de la pure recherche d’éléments «vernaculaires», l’accent a été mis sur la définition de solutions architecturales contextuelles et régionales, mais aussi contemporaines. Les matériaux, les techniques de construction, l’aménagement, le programme, l’aménagement paysager et le mobilier ont tous été choisis, composés et synthétisés en fonction de l’apport et des besoins de la communauté, des ressources disponibles, des techniques de construction traditionnelles régionales et des exemples architecturaux historiques. Par conséquent, le résultat est bien intégré à son contexte.
Que signifie pour vous construire un lieu de culte au XXIe siècle?
Cela signifie créer un espace flexible, à la fois conventionnel et contemporain, pouvant être ouvert à diverses formes de culte et d’activités communautaires. Cela signifie également créer un espace pouvant s’adapter aux besoins de ses utilisateurs actuels mais aussi futurs. Nos systèmes de croyances changent et évoluent constamment de la même manière que chaque communauté change constamment et crée de nouvelles formes de tradition; les espaces dédiés à la tranquillité d’esprit et à la communauté doivent donc pouvoir refléter ces changements et être intemporels.
Cela ne veut pas dire que tous les lieux de culte seraient identiques, car les bâtiments se connecte à leur environnement naturel spécifique et peuvent refléter le connexion du corps à la Terre de manière particulière. Les jeux d’ombres et de lumière, la circulation de l’air, l’orientation du corps au fur et à mesure de ses déplacements dans les différents espaces, et tous les éléments qui reflètent les valeurs historiques d’une communauté, peuvent créer un sentiment de paix et de connexion. Bien que les systèmes de croyances changent toujours, l’histoire crée un sentiment d’appartenance et de fierté qui peut être globalement partagé et se présenter comme des embellissements ou des éléments de composition dans les bâtiments.
Comment bâtir des lieux de culte au XXIe siècle ? C’est la question que s’est posé L’Architecture d’Aujourd’hui dans son nouveau numéro consacré aux lieux de culte. À retrouver sur notre boutique en ligne.