Galeries d’aujourd’hui : lieux de culte
Faut-il pratiquer le culte pour lequel on bâtit ? Que peut d'autre l'architecte, pour l'édification d'un lieu sacré que ne lui enseignerait le prêtre, l'iman, le rabbin, le pasteur ? Églises, mais aussi mosquées, temples ou synagogues... AA a choisi d'explorer dans son numéro 442 les lieux de cultes, qui font de leurs architectes des bâtisseurs.
Afin de nourrir cette réflexion, la rédaction d’AA a invité trois galeries à sélectionner une œuvre d’un artiste plasticien ou d’un architecte qu’elles représentent exprimant leur vision des « lieux de culte». Ont répondu à l’invitation : la Cardi Gallery à Milan, la galerie De Sarthe à Hong Kong et la Six Elzévir à Paris.
DAVID BALLIANO, UNTITLED_7141, 2015
représenté par la Cardi Gallery
« Ces derniers temps, mes recherches semblent se concentrent sur les rapports de force entre le travail en tant que spécificité humaine et la redoutable efficacité de la technologie, en passant par le temps et sa perception pour finir par la contemplation du sublime. »
En 2006, l’artiste contemporain Davide Balliano, né en 1983 à Turin, s’installe à New York, où il vit et travaille actuellement. Initialement photographe, l’artiste s’est orienté ces dix dernières années vers la peinture et la sculpture. Son langage visuel minimal et géométrique s’exprime sur des surfaces en noir et blanc, compositions géométriques dynamiques de lignes et des formes. De près, elles révèlent de petites imperfections, rayures et éraflures dans l’application du plâtre et du gesso sur le bois, transformant la surface apparemment austère en une œuvre texturée. Nourries de références puisant à la fois dans les « monuments-icône », l’architecture, la nature, les œuvres de Davide Balliano sont le résultat d’une confrontation permanente avec des concepts scientifiques et émotionnels, mettant en relation de l’individu avec le macrocosme.
L’œuvre UNTITLED_7141 est un bel exemple du potentiel dont sont porteuses les peintures minimalistes de Balliano : en supprimant toute abstraction inutile ou toute lecture figurative visible dans l’œuvre, l’artiste offre la possibilité « d’activer l’espace environnant » par l’équilibre entre absence et présence.
Fondée à Milan en 1972 par Renato Cardi, la galerie s'attache depuis à promouvoir le travail des artistes italiens contemporains. En 2015, la Cardi Gallery a ouvert son premier lieu à l'étranger, dans le quartier de Mayfair à Londres.
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XIN YUNPEG, 144 m², 2017
représenté par la galerie de Sarthe
Pour 144 m², Xin Yunpeng fait référence à ses racines Hui en accrochant un grand tapis de style islamique dans une pièce de la galerie. Le tapis n’est pas seulement posé sur le sol, il court aussi sur les murs. Plus large que l’espace dans lequel il est exposé, le tapis englobe complètement la pièce. Xin Yunpeng joueavec les questions d’espace et de frontières. Le dessin du tapis laisse également entrevoir une autre interprétation : le tapis est traversé par une série de portes qui, traditionnellement, dictaient la position de la prière vers la Mecque et la Kaaba. Cependant, en entrant dans cette pièce, le spectateur est désorienté et perd le sens de l’orientation que le tapis procure habituellement. Cette confusion spatiale renvoie le spectateur aux ruminations de l’artiste sur la propension des espaces et des frontières, physiques et non physiques, à dicter notre comportement et à favoriser les différences interpersonnelles.
La galerie de Sarthe a été fondée à Paris en 1977, avant de s'exporter aux États-Unis en 1981 et plus récemment à Hong Kong (2010) et à Pékin (2014). En 2017, la galerie a ouvert un nouvel espace dans le quartier artistique de Hong Kong, Wong Chuk Hang, pour étendre son programme d'art contemporain en provenance d'Asie.
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EMMANUEL ABITEBOUL, MENADE, 2020 & MAXIME SIMON, ARCANE, 2020
Galerie Six Elzévir
À l’occasion de leur première exposition au Six Elzévir, Emmanuel Abiteboul et Maxime Simon proposent une promenade esthétique et lyrique dans un microcosme orchestré. La trame de ce corpus est une juxtaposition de motifs issus du sacré, de l’impalpable, de la connaissance et de l’esprit. Les œuvres ici ne sont pas de simples réceptacles d’un savoir faire technique mais incarnent des images mentales et mystiques, souvent liées à notre inconscient collectif. Elles sont dotées d’une aura puissante, c’est une véritable rencontre entre l’objet regardé et celui qui le regarde qui est à l’œuvre.
Dans les icônes anthropomorphes d’Emmanuel Abiteboul, la matérialité des corps semble s’offrir pour un court instant. Bientôt, ils s’effaceront et ne laisseront que leurs ombres derrière eux. Ces œuvres matérialisent la rencontre furtive entre la terre et le ciel, le là et l’au-delà. S’agit-il d’apparitions ou de productions de l’esprit ? Les formes rappellent les statues grecques abîmées par le temps ou les corps fossilisés de Pompéi, pourtant l’abstraction du trait est indéniable. Ce traitement permet au regardeur de dépasser la dimension physique du monde avec plus d’agilité et pénétrer l’antre du sacré.
Dans la Série Arcane, Maxime Simon allie le hasard à ses recherches. Il s’agit d’utiliser l’aléatoire pour essayer d’atteindre une forme d’objectivité. Inspiré par le tarot de Marseille, chaque carte représente un archétype défini par l’artiste. L’iconographie est inspirée de différents registres allant du mythe grec, à l’art sacré et à la pop culture.
Le regardeur est amené à réfléchir sur ces différentes facettes de l’existence, il peut les étudier individuellement ou décider de les combiner. C’est un outil philosophique qui lui permet de questionner son rapport au monde. Afin d’accompagner le regardeur dans sa quête, Maxime Simon va créer des systèmes de tirages inédits. Le regardeur peut contempler les cartes ou décider de les activer.
La richesse de cette exposition nous donne envie de passer plus de temps avec les œuvres, de les saisir toujours plus, de ressentir leurs souffles et qu’elles nous accompagnent bien après notre visite. L’impalpable anima est bel et bien présent et ne cessera d’attiser nos sens et notre curiosité. (Adriana Bustamante, commissaire de l’exposition)
Créée en 2010 rue Elzévir à Paris par Patrick Rubin, architecte, et Valérie de Calignon, architecte d'intérieur, sous l'égide de l'atelier Canal, la galerie Six Elzévir est principalement orientée vers le dessin mais est également dédiée aux installations et aux performances. Du 30 juin au 4 août, l'exposition Anima ouvrira ses portes. Le vernissage est prévu le 1er juillet 2021.