Présidentielle 2022 : Jean-Luc Mélenchon répond à AA
L’architecture est un acte éminemment politique. Sans doute plus encore aujourd’hui qu’hier, au moment où, et c’est inédit dans l’histoire de l’architecture, quelques voix - d’architectes, oui - s’élèvent pour dire qu’il faut arrêter de construire si on veut espérer sauvegarder l’avenir de notre planète. La crise écologique, en devenant notre horizon, a définitivement changé la donne. Et si l’injonction peut paraître simpliste et radicale pour ses détracteurs, tout le monde s’accorde en revanche pour dire que l’acte de composer avec l’existant en transformant le parc bâti est indispensable. Cela n’était pourtant pas le cas il y a encore quelques années. Entre temps, des femmes et des hommes politiques, sollicités par des architectes engagés, ont permis de généraliser cette vision. Plus que jamais, le politique a le pouvoir de faire ou défaire l’aménagement du territoire, le développement urbain, et l’architecture.
Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Jean-Luc Mélenchon, Yannick Jadot, Anne Hidalgo… En 2022, quelles sont leurs réponses à ces questions urbaines et architecturales si peu posées par les médias généralistes ? Politique de la ville, transformation du parc bâti, gestion du logement social, mais aussi du parc tertiaire et commercial, stratégies à mettre en place pour répondre aux enjeux climatiques de l’époque… AA leur a posé la question. Voici les réponses du candidat de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon.
AA ayant récolté les réponses des candidats avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, le sujet n'a donc pas été abordé dans ces échanges. La rédaction n'en est pas moins bouleversée et manifeste toute sa solidarité avec le peuple ukrainien.
L’Architecture d’Aujourd’hui : En 2021, le Pritzker Prize, le Nobel de l’architecture, était décerné à l’agence française Lacaton & Vassal, dont le credo est le suivant : « réhabiliter plutôt que démolir ». Quelle est votre position en ce qui concerne l’équilibre constructions neuves / transformation du bâti existant ?
Jean-Luc Mélenchon : Les réalisations d’Anne Lacaton, Jean-Philippe Vassal et Frédéric Druot, mais aussi de Patrick Bouchain, Sophie Ricard et al., de Lucien et Simone Kroll, de Clara Simay & Julia Turpin, de Xavier Brunnquell, de l’Atelier +1 et de tant d’autres montrent comment faire sur mesure, au cas par cas et avec les habitant·es, comme le formule si bien Thierry Paquot, philosophe de l’urbain. Elles montrent déjà ce que deviendront l’architecture et la construction dès lors que s’appliquera la règle verte, principe défendu depuis 2012 par Jean-Luc Mélenchon, principe clé de notre programme, l’Avenir en commun, qui impose de ne pas prélever ou produire davantage que ce que notre planète peut elle-même régénérer ou absorber. La rénovation, la réhabilitation et la transformation en sont la règle.
Les politiques publiques des 70 dernières années ont favorisé l’étalement urbain, la séparation des fonctions. Comment dans ces conditions permettre une égalité d’accès aux services publics ? La collectivité doit desservir l’habitat par les services et transports publics, favoriser la mixité fonctionnelle et limiter l’étalement urbain. Nous sommes donc favorables à la reconstruction de la ville sur la ville, à la réhabilitation des tissus urbains existants, à la coopération des territoires et à la participation citoyenne. Tou·tes les citoyen·nes, quels que soient leur statut, leur lieu de résidence, leur revenu doivent avoir accès aux services publics et aux réseaux essentiels à la vie : santé, éducation, eau, énergie, transports, communications, culture et services sociaux. Nous reconstruirons le maillage fin de services publics qui a été détruit en garantissant l’accès aux services publics essentiels pour chaque Français à moins de 30 minutes de chez soi. Certains centres villes, quartiers populaires périphériques, ensemble de logements sociaux ou copropriétés sont aujourd’hui indécemment dégradés. Nous réformons l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour qu’elle soit financée par l’État et que les projets de renouvellement urbain promeuvent des réhabilitations écologiques plutôt que des démolitions. Les projets doivent être davantage élaborés avec les habitant·es, les conseils citoyens financés de manière obligatoire et des consultations populaires organisées lorsque des changements lourds dans le quartier sont prévus. En cas de relogement, le coût total du loyer et des charges ne doit pas augmenter. Nous prévoyons d’augmenter fortement les aides à la pierre pour créer 200 000 logements sociaux par an. Nous engagerons un plan de rénovation énergétique globale de l’existant, avec 700 000 logements isolés par an, pour atteindre la rénovation de tout le parc, public et privé, en 2050. Cette rénovation s’appuiera sur l’effet d’entrainement et d’exemple vertueux du secteur public et du logement social, ainsi que sur un dispositif de financement ambitieux, allant jusqu’à 100% pour les ménages pauvres.
La pandémie aura souligné plus que jamais le déséquilibre du ratio logements/bureau en France. Quelques opérations de transformations de bureaux en logements émergent, dont on peut souhaiter qu’elles vont se multiplier. Quelles mesures préconisez-vous quant à la gestion du parc tertiaire français ?
Le retour dans le domaine du logement des immeubles d’habitation précédemment convertis en bureaux est une première mesure pour créer du logement. Plus généralement dans la politique de l’immobilier, la recherche du bien commun remplacera celle du profit, et la place régulièrement exagérée, sous prétexte de rentabilité, des bureaux et des services de luxe sera mise sous contrôle, en particulier pour la reconversion des sites publics (hôpitaux, casernes).
Alors que l’étalement urbain est récrié, la densification urbaine rencontre également des critiques. Les deux modèles de références que sont d’une part la maison individuelle, de l’autre l’appartement en logement collectif, ne semblent plus si désirables, le premier étant perçu comme un non-sens écologique, l’autre souffrant d’avoir été laissé aux promoteurs privés qui ont notamment procédé à une réduction massive de sa surface. Comment loger dignement les français·es ?
Le logement est le premier poste de dépense des Français et Françaises. Le taux d’effort du premier décile de revenus est de 55,9 % : autrement dit, près de 7 millions de nos compatriotes dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour leur seul logement ! Il faut donc agir contre la spéculation foncière et réduire le niveau des loyers.
Emmanuel Macron a aggravé la politique menée depuis plus de quarante ans, dans laquelle les puissants traitent le logement comme une marchandise comme les autres. Le marché seul est incapable d’offrir un logement décent et abordable à toutes et tous. La crise du logement est le résultat de décennies de constructions insuffisantes, particulièrement en logements sociaux. Le déficit accumulé depuis plus de trente ans équivaut à au moins un million de logements manquants aujourd’hui.
La mauvaise qualité des logements plonge des millions de personnes en situation de précarité énergétique. Nous rendrons obligatoire la rénovation complète de l’ensemble du parc de logements, dans les conditions préconisées par les thermiciens les plus en pointe. Les opérations de rénovation devront donc participer d’une vision globale, circonstanciée et adaptée aux spécificités de chaque bâtiment. Elles devront résulter en une amélioration thermique performante, correspondant au moins aux actuels niveaux BBC. Nous développerons un patrimoine foncier public au niveau des collectivités, des établissements fonciers et des offices fonciers solidaires, échappant ainsi à la spéculation. La propriété du sol sera publique et l’usage sera loué aux particuliers, aux bailleurs privés et publics à travers des baux emphytéotiques. C’est un modèle concluant dans plusieurs villes européennes. Il faut aussi intervenir de manière volontariste et différenciée selon les territoires. En effet, la suroccupation du parc privé potentiellement indigne est trois fois plus élevée en Seine-Saint-Denis que dans le reste de la France. Nous ne favorisons pas l’étalement pavillonnaire, dont les conséquences ne sont pas qu’écologiques, mais aussi sociales et coûteuses, en proposant un habitat plus dense mais de qualité et des espaces publics non privatisés-marchandisés. Nous vous invitons à retrouver l’ensemble des mesures détaillées dans le livret thématique « Garantir le droit au logement » ainsi que le plan « zéro sans abri », qui complètent le programme l’Avenir en commun et proposent des réponses immédiates.
Les chiffres de la Fondation Abbé Pierre sont alarmants : 4 millions de personnes sans abri, mal logées ou sans logement personnel. Au total, en France, près de 15 millions de personnes sont touchées par la crise du logement. Quelles sont vos propositions en ce qui concerne l’augmentation – et la qualité – du parc de logements sociaux ?
Plus de deux millions de familles sont actuellement en attente d’un logement social. La fondation Abbé Pierre estime à 300 000 le nombre de personnes vivant à la rue, à 100 000 celles en habitations de fortune et à plus de 700 000 celles qui sont hébergées mais ne disposent pas d’un logement personnel. Ajoutez à cela celles et ceux dont les conditions de logement sont très difficiles, qui subissent la précarité énergétique, qui doivent fournir un effort financier excessif… et vous comprenez que 15 millions de personnes sont mal logées. Pourtant, habiter est la première des conditions d’une vie digne et la base de notre vie, de notre sociabilité commune ! Les subventions directes de l’État pour le logement social ont été divisées par six depuis 1999. Sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, la construction et en particulier celle de logements HLM est tombée à son niveau le plus bas depuis 15 ans. Nous proposons la création annuelle de 200 000 logements réellement sociaux (PLAI et PLUS), de 15 000 logements étudiants. Nous passerons de 10 000 logements en pension de famille à 100 000 en fin de quinquennat. Nous développerons massivement l’hébergement d’urgence dès 2022 et créerons des places d’hébergement d’urgence, dont 20 000 pour les femmes victimes de violence.
En ce qui concerne la qualité du logement social, nous nous appuierons sur la maîtrise d’ouvrage interne aux bailleurs sociaux qui sont en prise avec les besoins et qui auront le souci de l’exploitation, de la durabilité et du contenu écologique du bâti, limitant l’achat en VEFA. Le temps du « grand ensemble » est évidemment révolu. On doit ce terme à Maurice Rotival, qui l’utilisa pour la première fois en 1935 dans un article dans… L’Architecture d’Aujourd’hui ! Le rêve d’un logement abordable et de grand confort pour les masses déchaîne cependant rapidement. Apprenons du passé : il n’y aura donc plus de « construire vite et pas cher ». De nombreux collectifs de locataires d’HLM dénoncent que, trop souvent, les opérations de « réhabilitation énergétique » masquent des rattrapages de travaux d’entretien non réalisés pendant plusieurs décennies. En effet, une partie conséquente du parc ne respecte plus aujourd’hui les critères minimaux de décence. De plus, depuis que la loi « Molle » (2009) permet au bailleur de demander à ses locataires une « contribution pour le partage des économies de charge », nombre de bailleurs sociaux semblent répercuter les coûts de travaux obligatoires de remise en état de décence sur les loyers. Dans le logement social, à l’inverse de la concentration des pouvoirs loin des habitant·es, nous développerons le pouvoir des locataires et leur participation à tous les niveaux.
Les villes sont particulièrement exposées aux dérèglements dus au réchauffement climatique (vagues de chaleur, pénurie d’eau, pollution, inondations, etc.). Quelles mesures préconisez-vous pour aider les villes françaises à s’adapter au réchauffement climatique ?
L’adaptation climatique doit interroger tout le processus de conception de la ville et de construction des bâtiments. On ne répondra pas aux enjeux du changement climatique par les solutions classiques. Or le marché est incapable de s’adapter : le poids du profit et des lobbys nous enferme encore dans le tout béton, par exemple. L’adaptation climatique doit être planifiée : pour changer aussi vite, on ne peut pas faire confiance à la magie du marché, il faut s’y mettre toutes et tous ensemble, et qu’un État stratège impulse la dynamique. Il faut organiser la filière de l’éco-construction et des matériaux bioclimatiques, développer dès maintenant les formations pour qualifier les centaines de milliers de travailleurs nécessaires, ainsi que les architectes, les AMO, les artisans, les ouvriers actuels. Nous avons besoin pour cela d’instaurer un véritable protectionnisme écologique, quitte à désobéir aux règles européennes absurdes en la matière. L’État doit montrer le chemin en engageant un plan global de rénovation de nos infrastructures pour les adapter au changement climatique : cela aura un effet d’entraînement pour la filière et l’économie toute entière.
De plus en plus, les zones commerciales en périphérie des villes françaises sont critiquées car elles dégradent nos paysages urbains et nos campagnes. Quel urbanisme commercial pour nos villes ?
L’urbanisme commercial du XXe a causé d’innombrables dégâts : destruction du commerce de centre-ville et centre-bourg, aggravation de la dépendance des communes rurales aux centres régionaux, asservissement de la vie culturelle aux activités commerciales qui y sont proposées (lèche-vitrine sans contraintes météorologiques, cinémas mainstream…). « La ville, essentiellement et symboliquement, est le lieu de rencontre avec l’autre », écrivait Roland Barthes en 1970 dans vos colonnes ! C’est la conséquence d’avoir laissé l’aménagement du territoire au marché. Nous lutterons résolument contre l’étalement urbain en mettant en œuvre les mesures réglementaires nécessaires pour interdire ces absurdités environnementales et économiques que sont les entrepôts Amazon par exemple. Nous mettrons en place des aides spécifiques pour favoriser l’installation d’entreprises, d’artisans et de commerçants dans nos villes, pour favoriser la mixité fonctionnelle. L’encadrement des loyers, à la baisse dans les zones tendues, favorisera par ailleurs leur installation : aujourd’hui, la spéculation immobilière est une des premières causes de l’éviction de ces fonctions essentielles de nos villes. En relocalisant notre économie avec un protectionnisme écologique, en créant des emplois non délocalisables, par exemple avec la bifurcation écologique de l’agriculture, en rétablissant le maillage des services publics et rouvrant les lignes ferroviaires et gares du quotidien, nous redynamiserons les bourgs et villages qui ont été abandonnés par les logiques d’hyper-concentration actuelles.
Pouvez-vous citer une opération d’urbanisme ou d’architecture récemment livrée qui a retenu votre attention ? En quoi vous semble-t-elle exemplaire ?
Le groupe scolaire Simone Veil à Rosny-sous-Bois (mené par Emmanuel Pezrès, architecte de la ville de Rosny-sous-Bois ndlr) est un exemple que nous pouvons citer. Cette réalisation montre qu’il est déjà possible de construire rapidement les équipements publics dont nous avons urgemment besoin, de manière radicalement écologique. Avec l’application de la règle verte au monde du BTP, l’ère du « béton-tôle-plastique » est révolue et nous entrons dans l’ère du « bois-terre-paille ».
Emmanuel Pezrès, Groupe Scolaire Simone Veil, Rosny-sous-Bois, 2021 © Sébastien Champeaux