Riken Yamamoto, Pritzker Prize 2024
Annoncé ce mardi 5 mars, le Pritzker Prize 2024 a été attribué à l'architecte Riken Yamamoto, architecte japonais né en Chine. Dans sa pratique, Yamamoto considère les frontières entre les domaines public et privé comme des « opportunités sociétales » et est persuadé que « tous les espaces peuvent enrichir la communauté dans son entiereté, et pas seulement celles et ceux qui les occupent. » (Re)découvrez son portrait par Achille Racine ainsi que des extraits de travaux, parus en novembre 2013 dans le numéro 398 de L'Architecture d'Aujourd'hui.
Acteur des révoltes de 1968, Riken Yamamoto cultive son refus des dogmes modernistes et productivistes avec une discrétion toute japonaise. Ses réalisations, véritables morceaux de ville, se veulent flexibles, imprévisibles, pour une richesse spatiale et collective au-delà de toute lisibilité conventionnelle.
Riken Yamamoto est un contestataire modeste. « Je ne suis pas très bon en design », avoue-t-il en guise de présentation de son travail. Une façon de critiquer d’emblée, avec une politesse toute japonaise, l’importance donnée à la forme, et de souligner en même temps qu’il existe d’autres terrains pour l’architecture. Né en 1945, il affirme très tôt ses divergences : d’abord avec le modèle productiviste – il redouble une année pour avoir participé aux révoltes étudiantes de 1968 –, puis avec le dogme moderniste, qu’il juge appauvrissant et autoritaire. Il fonde son agence en 1973, et ses premières maisons, suivies d’une clinique et d’une école, le font connaître comme un architecte attentif à la ville et aux usages.
L’explosion de la bulle immobilière, au milieu des années 1990, va propulser l’atelier de Riken Yamamoto, qui incarne le public après la faillite du privé. Premières d’une série d’énormes projets, les universités de Saitama et d’Hakodate ainsi que la caserne de pompiers d’Hiroshima marquent un véritable tournant. Contraint par la crise et la taille restreinte de son atelier, l’architecte devient plus sobre, plus rudimentaire dans son écriture, plus systématique surtout. Pour autant, la répétitivité et la simplicité des géométries n’ont rien d’appauvrissant, mais forment au contraire une méthode de travail au service de ses ambitions.
La ville mutante
Depuis ses voyages dans les années 1960 pour étudier les villages traditionnels, en compagnie de son professeur, Hiroshi Hara, la ville le fascine par son échelle et les interactions qu’elle permet. Les projets de Riken Yamamoto sont de véritables morceaux de ville, recréant dans une version mutante, sa densité, sa porosité, sa flexibilité. Le coeur de l’université de Saitama, par exemple, grande nappe bâtie horizontale de 250 mètres par 80, percée de cours et de passages, évoque les villages arabes. Le contraste entre l’intrication des espaces en creux, où les étudiants trouvent l’intimité, et le paysage des toitures plantées, ouvert sur les rizières alentour, est saisissant. Comme plus tard à Pékin, Tokyo ou Séoul, l’architecte résout les contradictions par la superposition : au sol, une ville dense et diverse, à taille humaine, au-dessus, des bâtiments indépendants, et parfois, entre les deux, une nature synthétique. Riken Yamamoto est un véritable ingénieur des flux. C’est par le parcours à travers les cours disposées en quinconce, les passages, les chicanes, qu’il instaure l’intériorité et l’intimité, bien plus efficacement que par l’usage d’une clôture. L’architecte ne recherche pas de grandes lignes directrices, de frontalité. Bien au contraire, il veut recréer le mystère, l’imprévisible de la ville, dans un systématisme qui s’oppose volontairement à toute lisibilité.
Interactions urbaines
Ce qu’il apprécie dans la ville, Riken Yamamoto cherche à le reproduire à l’intérieur de ses bâtiments, dans un environnement technologiquement contrôlé. Ainsi, la caserne d’Hiroshima ressemble à une véritable machine vouée à l’espace public : les espaces d’entraînement des pompiers, habituellement situés à l’écart, occupent le cœur même de l’édifice. Chaque partie du bâtiment gravite autour de ce grand vide, prétexte à toute une série d’interactions. Une vaste galerie d’observation permet aux écoliers de venir assister aux entraînements à travers des parois de verre. Ailleurs, de minuscules fenêtres, ici une coursive, là un balcon, mettent en relation les différents espaces tout en maintenant leur indépendance.
En construisant des condensateurs urbains, Riken Yamamoto cherche à renoncer au contrôle, à s’en remettre à l’imprévisibilité des interactions et des changements qu’il a pu observer dans la ville. Et comme pour ses projets urbains, l’architecte parvient par des moyens simples à créer de l’intimité. Dans l’université de Saitama, à l’intérieur des gigantesques galeries des bâtiments plus élevés marquant les limites du campus, des cages d’escalier interrompent à intervalles réguliers la déambulation, pour aménager autant d’espaces de rencontre plus petits, d’une richesse spatiale surprenante.
Partir du petit
Partageant avec ses aînés métabolistes ou du Team 10 la préoccupation pour la grande échelle, l’architecte ne se résigne pas pour autant à une forme de brutalité ni de rupture avec son contexte. Conçue par agrégation de cellules élémentaires, comme à Saitama, ou par remplissage d’une structure, comme à Hiroshima, son architecture reste étonnamment à taille humaine. En partant du petit pour aller vers le grand, elle évite l’uniformité, la monotonie, la rigidité, l’écrasement de l’individualité.
Dans les bâtiments de Riken Yamamoto, la beauté naît de la franchise du rapport entre le grand et le petit, entre la structure le plus souvent laissée brute et ses occupants, mais aussi de l’impossibilité à tout saisir d’un coup d’œil. La monumentalité qui s’en dégage – préoccupation qui semblait avoir disparu au Japon, converti au « small is beautiful » – a quelque chose d’étonnamment tranquille. Comme si les édifices de l’architecte étaient l’expression du collectif dans sa version la plus simple, plus libertaire qu’autoritaire, plus piranésienne que moderniste.
Découvrez les travaux de l’architecte, publiés en novembre 2013 dans le numéro 398 de L’Architecture d’Aujourd’hui.