Cierto Estudio, de Barcelone à Paris
Cierto Estudio est une agence catalane composée de six femmes – Marta Benedicto, Ivet Gasol, Carlota de Gispert, Anna Llonch, Lucía Millet, Clara Vidal – née sur les bancs de l’École technique supérieure d’architecture de Barcelone. En 2014, le jury du concours Benvenido a Casa, organisé par l’entreprise immobilière Solvia, leur décerne la Mention d’Honneur, marquant le début de leur collaboration en tant qu’agence. Dix ans plus tard, l’agence, forte de plusieurs livraisons – logements, mais aussi équipements publics, urbanisme, aménagement intérieur – ouvre de nouveaux bureaux à Paris. Entretien d’une agence à suivre.
Propos recueillis par Yên Bui
Pouvez-vous présenter votre agence en quelques mots ?
Cierto Estudio est né d’une amitiée nouée pendant nos études à l’École technique supérieure d’architecture de Barcelone (ETSAB). Après l’obtention de notre diplôme, nous avons continué à travailler ensemble sur des petits projets ainsi qu’en participant à des concours d’architecture – même en n’étant pas lauréates, cela nous aidait à approfondir notre vision du logement collectif. En 2014, nous nous associons en tant que SCOP pour participer au concours Benvenido à Casa organisé par l’entreprise Solvia, et nous ne nous sommes pas quittées depuis. Au cours des dix dernières années, nous avons agrandi l’agence et consolidé notre pratique au-delà du logement collectif. Aujourd’hui, nous développons des projets allant de l’urbanisme aux équipements publics et privés, en passant par les détails de projets d’aménagement intérieur. Nous abordons toujours nos projets d’un point de vue domestique, cherchant à générer des espaces adaptés à la vie quotidienne de leurs utilisateur·rices.
En tant que six jeunes femmes associées, nous avons dû relever d’importants défis liés à la profession : par exemple, sur les chantiers, nous sommes souvent confrontées à des attitudes paternalistes… Cependant, ces expériences communes nous renforcent. Au sein de l’agence, nous n’avons pas de tabous concernant la maternité et la façon de concilier nos vies familiales et professionnelles, pour que cette balance soit la plus équilibrée possible.
Quelle est la situation du logement à Barcelone ?
Elle est critique. Le manque d’offres fait grimper les prix, le logement est de plus en plus inaccessible pour une grande partie de la population. De plus, les mécanismes de production urbaine sont très lents pour la création de nouveaux logements, et les réglementations actuelles ne sont pas conçues pour être flexibles face à l’actuelle crise de l’habitat. En conséquence, des processus qui devraient être agiles se révèlent lourds et complexes. En dépit de ces freins, au cours des dix dernières années, Barcelone s’est affirmée comme une ville pionnière dans la conception de logements innovants. Ceux-ci intègrent la perspective de genre comme méthode de conception, favorisant ainsi un habitat inclusif qui répond à la diversité des structures familiales contemporaines.
Pourquoi avoir choisi de vous implanter en France, et plus précisément à Paris ?
Dans le cadre du programme d’échange Erasmus effectué durant nos études, chacune d’entre nous a eu l’opportunité de se rendre dans d’autres pays pour étudier (à Paris, Oslo, Munich, Delft, Glasgow et Chicago). Grâce à cela, nous avons pu explorer d’autres cultures architectures et tisser un réseau de contacts précieux. Aujourd’hui encore, nous continuons à entretenir et à cultiver ces relations. Clara a par ailleurs vécu, étudié et travaillé à Paris. Grâce à son expérience dans la ville, nous avons pu établir un contact avec l’agence de Vincent Lavergne, avec qui nous avons collaboré dans le cadre de concours en Espagne et en France – et surtout de remporter notre premier concours en France pour le projet Lumi 2.0 à Bordeaux pour Clarsienne [une filiale du groupe 3F. NDLR].
Paris est un lieu stratégique pour notre agence : d’ici, nous avons l’avantage d’accéder facilement à d’autres pays où nous travaillons également, comme la Belgique et la Suisse. De plus, nous croyons que notre approche de projet, centrée sur la vie quotidienne, ajoute de nouvelles perspectives et enrichit le débat sur la vie urbaine et ses habitants dans la ville de Paris.
Comment définiriez-vous votre approche du logement ?
En 2017, nous avons remporté notre premier concours de logements sociaux pour l’Institut municipal du logement et de la réhabilitation de Barcelone, Illa Glòries. Il s’agit de notre premier projet de cette envergure. Nous y avons intégré toute la recherche développée entre 2014 et 2017. Ces travaux nous ont menées à la création d’un bloc urbain faisant la transition entre le tissu du district de l’Eixample Cerdà et le nouveau District 22@ de Barcelone. Bien qu’il s’agisse d’un projet de logements sociaux, nous avons conféré au bloc une monumentalité fortement induite par le lieu. Ces 51 logements répondent à des questions-clé, auxquelles nous attachons beaucoup d’importance depuis nos débuts : le genre, l’inclusivité, la diversité des noyaux familiaux et la création d’espaces qui favorisent la cohésion. Par exemple, il est capital de faire en sorte, dans le dessin de l’espace, que les tâches domestiques soient visibles et, ainsi, puissent être partagées. De plus, la distribution doit être suffisamment flexible pour que la grande variété des familles qui existent aujourd’hui puisse habiter un même logement. Nous centrons notre approche sur la projection d’espaces domestiques qui répondent aux besoins actuels et qui, en même temps, permettent aux habitants de développer une vie quotidienne confortable.
Pouvez-vous présenter en quelques mots votre projet le plus emblématique ?
Il y en a deux actuellement : le développement du modèle Eixos Verds – Superilles [le programme mis en place par la ville de Barcelone visant à réduire le trafic routier dans la ville en créant de « super-îlots » et des axes verts, plantés et piétons. NDLR] avec la mairie de Barcelone, ainsi que la conception de l’axe vert Consell de Cent, situé au cœur du quartier de l’Eixample Cerdà, ont marqué un tournant pour notre agence.
Au cœur du projet, trois éléments : les piétons, la nature et la durabilité. Dans la rue Consell de Cent, nous proposons une plateforme qui s’étend d’un bâtiment à l’autre, invitant les citoyens à marcher au centre de la voie. De cette manière, la rue autrefois occupée par les voitures se transforme en un espace de convivialité et de manifestation quotidienne et transcende son ancien statut d’infrastructure. Les plantes existantes sont conservées et régénérées : la végétation enrichie. Nous avons mis en place des systèmes de drainage durable et d’irrigation. Le long de l’axe qui s’étend sur 20 blocks, des places de tailles variées offrent des espaces de repos ou de jeux – et permettent également d’homogénéiser les tronçons, en minimisant les aspérités des îlots. Enfin, nous constatons chaque jour que cette nouvelle trame piétonne, pacifiée, végétalisée, est largement plébiscitée par les riverain·es, c’est un succès partagé.
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