Architecture

Le seuil et la lutte. Entretien avec Stéphanie Dadour

« Dans toutes les maisons, les femmes, hors du monde reléguées », chantaient les militantes du Mouvement de libération des femmes en 1971. Comment cet espace intérieur, celui du doux foyer que suggère un autre slogan, « Home sweet home », peut-il être relu à la lumière du féminisme ?
Pour y répondre, Stéphanie Dadour, chercheuse et maîtresse de conférences en sciences humaines et sociales à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Malaquais, spécialiste des questions relatives à l’espace domestique, convoque le mouvement moderne, Dolores Hayden… et le choix des rideaux.


Propos recueillis par Anastasia de Villepin
© Lewis W. Hines / courtesy J. Paul Getty Museum

AA : Quand situeriez-vous l’émergence d’un intérêt pour l’intérieur de la maison et son aménagement, au-delà de la simple typologie architecturale ?

Stéphanie Dadour : Depuis toujours, les architectes se sont intéressés aux intérieurs. Joel Sanders, architecte et professeur étatsunien, explique qu’au niveau de la profession, c’est au début du XXe siècle que s’exacerbe la séparation entre le travail des architectes et celui des décorateurs – dont le travail porte principalement sur les intérieurs. On parlerait aujourd’hui d’« architectes d’intérieur », ou « designers ». On a ainsi créé une hiérarchie qui valorise le travail de l’architecte, comme un travail global, au détriment des « décorateurs » qui n’arrivaient qu’en fin de course, concentrés sur un intérieur vu comme inférieur et, aussi, comme un travail féminin. Cette hiérarchie prend de l’ampleur autour des années 1960 et encore aujourd’hui : elle valorise l’architecture, le plus souvent représentée par une figure masculine, aux dépens de l’architecture d’intérieur dont le concepteur, même s’il s’agit d’un homme, est assimilé à des stéréotypes féminins.

Joel Sanders qui a écrit «Les guerres de rideaux», traduit et publié en 2020 dans le numéro 6 de Re-vue Malaquais, que vous avez dirigée.

En effet, c’est un très beau texte qui date initialement de 2004 et qui revient sur les relations entre architectes et décorateurs. Le titre illustre bien l’enjeu : le rideau, c’est la marque des décorateurs que l’architecte se refuserait à toucher – ironiquement, sauf aujourd’hui pour des raisons énergétiques. Dans un jeu de mots, il l’oppose au « mur-rideau » pour maintenir la distance entre les deux domaines. Cela reste, selon moi, très symptomatique de ces assignations « professionnelles ». On sait que la réalité est différente : la porte, la fenêtre, le seuil sont-ils des éléments d’intérieur ou d’extérieur ? À mon avis, ce débat n’a pas lieu d’être.

Quelles ont été les conséquences de cette hiérarchisation ?

J’aimerais citer ici le livre de l’historienne Alice T. Friedman dans lequel elle montre comment les maisons iconiques du mouvement moderne – la maison Schröder de Gerrit Rietveld, la villa Savoye et consorts – ont toutes été conçues par des hommes et commanditées par des femmes. L’étude de la correspondance entre l’architecte et la commanditaire retrace avec précision le développement de ces maisons, construites autour de réflexions sur l’adéquation des intérieurs et des modes de vie…

Lire la suite de cet entretien, paru  dans le dernier numéro de L’Architecture d’Aujourd’hui, « Maison individuelle. Révolutions d'un modèle », disponible sur notre boutique en ligne.

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