À Montréal, une maison en deux temps
Le savoir-faire de l’agence montréalaise La Shed en matière d’habitat individuel est bien connu des résident·es de la « belle province ». Lauréate de nombreux prix et récompenses professionnelles, aussi bien au Canada qu’à l’international, cette agence s’adonne depuis plus de 10 ans à réinventer les règles de la domesticité – grâce à une maîtrise des volumes, une connaissance du patrimoine bâti québécois et un souci du détail hors pairs. Dans l’un des plus anciens quartiers de l’île de Montréal, le projet « Les Interstices » se distingue par son approche quasi-archéologique d’une maison abandonnée et condamnée, muée en un lieu de vie chaleureux et lumineux.
De la cabane dans les bois à la maison de ville, nombreuses sont les typologies étudiées par les architectes de La Shed pour concevoir des lieux de vie à l’image de leurs commanditaires. Au sud de l’île de Montréal, bordé par le fleuve Saint-Laurent, le quartier Pointe-Saint-Charles, traditionnellement ouvrier, fait l’objet depuis le milieu des années 2000 de vastes opérations urbaines et immobilières visant sa revitalisation et la requalification d’îlots délaissés et de parcelles vacantes. Située dans une petite rue calme et arborée, c’est une bâtisse étroite, condamnée et délabrée, que les client·es présentent aux architectes : « Lors de la première visite de cette maison barricadée, abandonnée depuis plusieurs années, nombreux l’auraient considérée comme une cause perdue nécessitant une démolition entière. Le piètre entretien des lieux, la façade avant complètement défigurée, l’absence de qualités intrinsèques observables, tout dessinait d’ores et déjà ce projet comme un défi colossal. »
Stratégie de projet
Procédant par hypothèses pour déterminer la nature et la typologie de l’enveloppe d’origine, les architectes découvrent une façade en briques derrière les placardages et bardages séquestrant la maison et déterminent que cette dernière, à l’instar de ses voisines, présentait jadis une toiture en corniche. Se saisissant de cette typologie, l’équipe place la sauvegarde de la façade d’origine au cœur de son intervention. Afin que le langage contemporain de l’extension demandée par les client·es ne porte pas atteinte à l’opération de rénovation de la façade sur rue, la stratégie de La Shed est de prolonger la bâtisse sur sa façade donnant sur cour, dans le respect du plan d’origine, qui présentait, dans le traitement de ses quatre façades, « plusieurs décrochés et retraits, ainsi qu’une cour intérieure ». La cour arrière est ainsi partiellement annexée pour former un patio semi-enclos, étreint sur son côté ouest par un bâtiment qui se prolonge vers le jardin en fond de parcelle. Côté rue, une discrète inclusion moderne se place dans un intervalle non bâti flanquant le terrain, jouxtant désormais la façade originelle ennoblie par sa restauration.
Interstices, intervalles, insertions
Un espace intermédiaire est aménagé entre la rue et les espaces familiaux, comptant l’espace de l’entrée et des surfaces utiles accueillant les rangements de la cuisine. L’entrée sur rue est précédée par un jardinet, qui permet notamment un décalage entre la maison et sa voisine. En léger retrait par rapport à la façade, l’extension se profile en investissant l’espace de la mitoyenneté ; dans cette étroite bande s’élèvent les circulations verticales, notamment un escalier sans contremarches, séparé de la cuisine par une cloison vitrée, qui conduit la lumière naturelle dans toute l’élévation de l’extension et dans la profondeur de la maison rénovée.
« L’interface entre cette faille et le reste de la maison est clairement exprimée dans l’ensemble des espaces : au rez-de-chaussée, le traitement au sol l’exprime et participe aux qualités compositionnelles de la salle à manger. À l’étage, le seuil se matérialise grâce à un mur qui est en fait celui de la construction d’origine, marquant clairement le fait que l’on doit le traverser pour accéder aux espaces plus intimes », expliquent les architectes.
Volumétrie et spatialité
Au dernier étage, les architectes réhaussent légèrement la hauteur sous plafond sans que l’épannelage de la bâtisse n’en soit impacté. Les solives marquant le plafond d’origine sont préservées et rendues apparentes, laissant lisible, en filigrane, la volumétrie de la maison d’origine. S’ajoutant aux nombreux dispositifs lumineux du projet, des puits de lumière ajourent la toiture rénovée.
Les architectes jouent avec les doubles hauteurs au niveau supérieur, accueillant les espaces de nuit, pour créer des vues vers les espaces de jour et ainsi amplifier les surfaces de la maison. « Les pièces sont en quinconce les unes par rapport aux autres, créant des alcôves et des percées variées tout en permettant aux espaces extérieurs de s’engouffrer au cœur des espaces de vie. Cette stratégie est très efficace pour séparer physiquement les pièces, tout en minimisant les circulations au profit des superficies appropriables. »
En fond de parcelle, l’extension permet l’ajout de deux pièces à la maison : un salon, en rez-de-jardin, et un bureau en mezzanine ; cette nouvelle construction se situe à la jonction entre le nouveau patio et le jardin arrière, que l’on rejoint par l’ouest via un passage recouvert d’une pergola – un nouvel interstice. « Le seuil de cette entrée arrière est marqué par un caillebotis flottant au-dessus d’une margelle, qui permet l’ajout d’une chambre supplémentaire en sous-sol. »
Par le trait d’union qu’elle tire entre deux époques de ce quartier montréalais, la maison « Les Interstices » s’inscrit dans un répertoire dont les architectes de La Shed sont coutumiers : celui de la convivialité et de la qualité architecturale en environnement urbain dense ou complexe.
Maison « Les Interstices », Montréal, Québec, Canada
Programme : Agrandissement et réaménagement complet d’une maison unifamiliale
Maîtrise d’ouvrage : Privée
Architectes : La Shed
Surface : 157 m² (1 690 pieds carrés)
Livraison : 2022
Photographies : Maxime Brouillet