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Françoise Choay, 1925-2025

Le 8 janvier 2025 disparaissait Françoise Choay, historienne des théories et des formes urbaines et architecturales, professeur émérite des universités et autrice de nombreux ouvrages sur la question de l’aménagement urbain.


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Dans les années 1950, ses études de philosophie l’emmènent sur le chemin de la critique d’art, le long duquel elle écrit pour des revues comme L’Œil ou L’Observateur. En 1960, elle signe un livre sur l’œuvre de Le Corbusier et ainsi que, quelques années plus tard, une anthologie de textes sur l’urbanisme (L’Urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie, Seuil, Paris, 1965) regroupant pas moins de 37 auteurs. En 1978, Françoise Choay soutient une thèse consacrée aux « utopies spatiales » d’Alberti et de Thomas More, intitulée « Étude structurale des textes instaurateurs du milieu bâti », publiée en 1980 sous le titre La Règle et le Modèle (Paris, Seuil). Elle enseigne alors au Centre universitaire expérimentale de Vincennes, (future Université Paris VIII), établissement né de l’esprit Mai 68 où se développe une pédagogie « progressiste » et un enseignement proche des sciences humaines et sociales. C’est là, en 1969, qu’est créé un département d’urbanisme qui deviendra plus tard l’Institut français d’urbanisme. Françoise Choay y enseignera jusque dans les années 1990.

Dans La Règle et le Modèle, l’historienne rappelle que les textes De re aedificatoria d’Alberti (1452) et l’Utopie de Thomas More (1516) n’étaient au départ que des « utopies spatiales » plus tard transformées en paradigmes de traités d’architecture. C’est à cette source que s’est pourtant abreuvé l’urbanisme tel qu’on le connaît, qu’il s’agisse de reproduire un « modèle » (More) ou d’étendre la ville à l’aide d’une « règle générative » (Alberti) – Françoise Choay mêlant urbanisme et linguistique (comme elle le fit plusieurs fois dans les pages d’AA, en 1967 [« De l’urbanisme : histoire, sémiologie, science, sociologie et philosophie », n° 132] ou en 1970 [« Remarques à propos de sémiologie urbaine »]) pour défendre une approche sensible du paysage urbain.

Dans les années 1990, elle se tourne vers l’étude du patrimoine et publie, en 1996, L’Allégorie du patrimoine, dans lequel elle écrit : « Le monument a pour but de faire revivre au présent un passé englouti dans le temps. [Il] entretient un rapport autre avec la mémoire vivante et avec la durée. » En 1996, à l’occasion de l’exposition Métamorphoses parisiennes au Pavillon de l’Arsenal, Françoise Choay écrit pour le catalogue éponyme un texte intitulé « De la démolition » : « Toutes les cultures et toutes les sociétés se sont constituées et développées en démolissant ». « La notion de démolition entre donc en relation avec celle de conservation selon deux acceptions différentes. Autrement dit, pour l’historien et le critique actuels, les concepts de démolition et de conservation forment deux couples dont l’un s’applique aux comportements traditionnels de nos sociétés et l’autre à ceux d’une civilisation technicienne en voie d’émergence. » Une position audacieuse, qu’AA a souhaité reproduire en 2011 pour son numéro « Patrimoines » et que Françoise Choay introduisait ainsi :

Lorsque L’Architecture d’Aujourd’hui m’a demandé l’autorisation de republier “De la démolition” dans la revue, j’ai été d’autant plus surprise que j’avais oublié cet épisode de ma carrière journalistique et sa violence polémique. Une relecture attentive ne me fait pas pour autant désavouer ce texte. Même si sa démarche didactique mériterait d’être allégée. En revanche, la recherche lexicographique que je mène en ce moment apporte une confirmation éclatante de la thèse défendue, identiquement applicable : aux langues vivantes avec leurs identités propres relevant de la spécificité des cultures auxquelles elles appartiennent ; aux constructions matérielles de tout genre (ville, village, paysage, maisons individuelles, équipement, lavoirs, abreuvoirs, étables, etc.) qui, par le truchement d’une implantation matérielle, viennent donner une assise symbolique visible à la volatilité du langage. Comme les langues dont elles sont l’expression matérielle, les édifications de tout genre dépendent de trois termes : un fond permanent plus ou moins inaliénable ; des constructions périmées et archaïques qu’il faut éliminer ; et pour les remplacer, des constructions nouvelles exigées par l’évolution de la vie.

Que l’on approuve, ou non, la position de l’historienne, AA vous propose de relire ce texte clivant qui prouve, parce qu’il dérange encore, à l’heure où la profession ne cesse de s’interroger sur la validité de l’acte même de construire, qu’il n’est pas de penseur·euses plus pertinent·es que ceux dont les écrits traversent les villes de tous siècles, Françoise Choay en tête.

Cliquer sur l'image ci-dessous pour lire le texte de Françoise Choay dans son intégralité.


 

 

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