Chiva, un an avant la catastrophe
Situé à 30 kilomètres à l’ouest de Valence, Chiva a été l’une des villes les plus touchée par les pluies diluviennes du 29 octobre 2024. Comment vivre avec le risque d’inondation qui ne va cesser d’augmenter ? En 2023, dans le cadre du concours Europan 17, les architectes Catalina Salvà (Salvà Ortín Architectes), Jaume Gil et Santiago Alberca (Bou Gandia) sont lauréats sur le site du ravin de Chiva. Un an avant la catastrophe, croisant les échelles du territoire, de l’urbanisme et de l’architecture, leur projet « Breathing Back » envisage le ravin de Chiva comme une opportunité de réparation du paysage, articulant la ville et le territoire. Une prémonition ?
Propos recueillis par Ethel Halimi
AA : Pouvez-vous nous présenter votre projet « Breathing Back », lauréat Europan 17 sur le site de Chiva ?
Catalina Salvà : Le site proposé par Europan visait à repenser l’environnement de la Rambla del Poyo, qui traverse le centre urbain de Chiva dans la Communauté valencienne. Le concours a été lancé en mars 2023, remis en juillet 2023 et rendu en décembre 2023. Dès les premières visites du site, nous avons constaté que le ravin était dans un état d’abandon et que la croissance de la ville l’avait avalé et transformé en arrière-plan de la ville. Le ravin est devenu une zone utilisée exclusivement à des fins d’infrastructure, laissant souvent s’y écouler l’eau polluée et les déchets. Notre proposition est une intervention globale pour le ravin afin d’inverser cette situation : faciliter l’accès depuis les espaces publics urbains proches, introduire des usages dans le ravin, récupérer le cycle de l’eau et les écosystèmes naturels pour lui redonner de la valeur.
Comment pensez-vous que votre projet aurait pu atténue, voire, prévenir, les dommages causés par les pluies torrentielles de l’automne 2024 ?
Dès le début de notre processus de conception, nous avons noté que l’eau était un élément essentiel pour Chiva et son territoire. La position du village sur une plaine alluviale inondable avec des émanations karstiques récurrentes et un niveau phréatique élevé a défini des conditions géo-morphologiques et hydrologiques particulières au lieu. Nous avons reconnu qu’il y avait un risque d’inondation.
Pour cette raison, trois de nos six stratégies étaient liées à l’amélioration de l’espace du ravin pour coexister avec les inondations, en évitant autant de dommages que possible, à la fois économiques et sociaux. Nous les avons intitulées « Topographies de l’eau », « Infrastructure de l’eau » et « Création de nouveaux habitats ». La stratégie des « topographies de l’eau » part du principe qu’il est possible de vivre avec les inondations en concevant un parc qui leur donne de l’espace (en augmentant la section inondable du ravin là où c’est possible) et qui ralentit la vitesse de l’eau (en réintroduisant des forêts riveraines), réduisant ainsi le ruissellement et garantissant une meilleure infiltration dans le sol et, par conséquent, une plus grande absorption de l’eau dans les nappes aquifères.
Avec la stratégie « Infrastructure de l’eau », nous avons proposé de réactiver le patrimoine hydraulique productif, en assurant une présence constante de l’eau dans l’ensemble de l’environnement, ce qui assure une hydratation et une humidité constantes à la végétation et aux êtres vivants. Cette stratégie proposait également une série de réservoirs d’eau de pluie dans la ville qui peuvent contribuer à sa gestion lors des épisodes de tempête.
Enfin, notre stratégie « Création de nouveaux habitats » prenait en compte les besoins humains et non humains en introduisant une série de nœuds de biodiversité dans le lit du ravin, conçus comme des zones tampons entre les espaces pour les humains et les écosystèmes riverains (végétation, animaux et insectes) où pouvaient être installés des hôtels à insectes, nids d’oiseaux et des « tremplins » pour les pollinisateurs. Nous avions également dessiné de nouveaux « espaces de contact » avec le ravin, en déconstruisant une partie du sol afin de laisser s’infiltrer les eaux de pluie. Nous pensons que ces actions auraient pu atténuer les impacts des épisodes de pluies torrentielles : cependant, il faut rappeler que cet épisode du 29 octobre 2024 était exceptionnel, la solution pour l’en empêcher aurait mérité d’être pensée à l’échelle territoriale.
Quels enseignements en matière d’urbanisme et d’architecture avez-vous tirés de cette récente catastrophe ?
Nous pensons que tout projet doit être compris comme une nouvelle pièce d’un écosystème. Cette mise à distance permet de comprendre l’importance des petites interventions pour améliorer les relations territoriales. Avec cette proposition pour Europan 17, nous avons appris comment planifier un renouveau une grâce une séquence de projets d’espaces publics qui relient des écosystèmes naturels à grande échelle.
Nous avons travaillé avec plusieurs types de données (inondations, déconnexions physiques, utilisation des sols, habitats naturels…) qui, une fois traduites en cartes opérationnelles, ont dessiné notre proposition d’amélioration, intégrée dans un projet complexe d’espace public. La leçon la plus utile que nous pouvons en tirer serait que, finalement, en tant que concepteurs, nous travaillons avec un outil puissant : l’espace en tant que terrain d’essai, mais aussi en tant que preuve de son histoire. Les données relatives à l’histoire d’un territoire offrent la possibilité d’anticiper l’après. Nos conceptions doivent s’adapter à ces informations.