Exposition : Hans Hollein au Centre Pompidou
Jusqu’au 2 juin 2025, le Centre Pompidou présente Hans Hollein, transFORMS, une exposition monographique consacré à celui dont la formule « tout est architecture » est restée fameuse. Architecte qui aurait pu rester artiste de son temps, à en croire la première partie de cette rétrospective parisienne, s’il n’avait cédé aux avances du post-modernisme naissant et terriblement séduisant qui lui valut, en 1985, un prix Pritzker, récompensant un « maître de son domaine ».
Anastasia de Villepin

Hans Hollein, Stadtgebilde über Wien [Structures urbaines au-dessus de Vienne], 1960. Photomontage sur carton d’origine, 13,8 x 32,7 cm
« Cette exposition constitue en réalité le deuxième volet d’une rétrospective initiée en 1987 », précise en introduction Frédéric Migayrou, directeur adjoint du Centre Pompidou et commissaire de l’exposition. « Elle nous permet d’exposer les quelque 170 œuvres de l’auteur, conservées dans nos collections, la plupart acquises en 2016 ». Dans la Vienne de l’après-guerre qui a vu grandir le jeune Hollein, né en 1934, ne subsistent, en matière d’architecture, que des tours de béton construites sous l’occupation allemande. Étudiant à l’Académie des beaux-arts de Vienne, puis diplômé de l’Institut de technologie de Chicago et d’une maîtrise en architecture de l’université de Californie à Berkeley, Hans Hollein côtoie, aux États-Unis, Richard Neutra ou encore Frank Lloyd Wright, avant de rentrer en 1964 fonder son agence.
Les premiers pas d’Hollein dans la création sont artistiques, comme en témoigne l’exposition Architektur qu’il conçoit avec le sculpteur Walter Pichler en 1963, en majesté dès l’entrée de la rétrospective du Centre Pompidou. À la même époque, les collages qu’il réalise bénéficient de la reconnaissance de galeries et artistes d’avant-garde – l’un de ces collages fut notamment acheté par le sculpteur étatsunien Claes Oldenburg, qui partage avec Hans Hollein le goût de l’échelle modifiée pour souligner l’absurdité des formes comme celle de leurs fonctions. « Il fut pendant longtemps le seul architecte présent dans les expositions d’art contemporain », souligne Frédéric Migayrou.

À gauche : Hans Hollein, revue Bau : Schrift für Architektur und Städtebau, n°1-2 : Alles ist Architektur [Tout est architecture], 1968 ; à droite, vue de l’installation Pneumatische Strukturen [Structures pneumatiques]. Trois gonflables monumentaux, Kapfenberg (Autriche), 1967. Tirage photographique sur papier, 23,5 × 18 cm
Ces aspirations transdisciplinaires ne le quitteront pas de sitôt : pour Hollein, un paysage modifié par l’agriculture est architecture. Ainsi, les photographies prises par le jeune praticien de vastes plaines sont-elles entendues comme des sujets de « non-architecture » – désormais exposées, en 2025, comme des œuvres d’art. Tantôt pilule (Architekturpille, 1967), tantôt gonflable (son « möbilen Büro » de 1969), cette architecture pourtant dite « de papier » n’est pas sans écho dans l’Europe de « l’architecture radicale » qui voit dans la théorie, le collage, la performance, d’autres formes d’expression du monde bâti – des reproductions de ses œuvres Svobodair et Österreich Brille (Lunettes autrichiennes), témoins de la possibilité d’une « architecture-expérience », encadrent d’ailleurs fièrement le sommaire du numéro 139 de L’Architecture d’Aujourd’hui, consacré aux « tendances » de l’année 1968.

Sommaire du numéro 139 de L’Architecture d’Aujourd’hui, septembre 1968
En 1972, Hans Hollein représente l’Autriche à la Biennale de Venise – il faudra attendre 1980 pour que l’architecture ait, à son tour, une « vraie » biennale à Venise – et propose l’installation Werk und Verhalten, Leben und Tod. Alltägliche Situationen. [Travail et comportement. Vie et mort. Situations de la vie quotidienne], une plongée onirique dans les rituels de l’existence et de la mort. Installée sur les berges du Rio dei Giardini, reproduite à l’identique dans les salles de l’institution parisienne, une plate-forme ombragée, sur pilotis, abrite une civière sur laquelle repose une figure enveloppée de tissu : inattendu, le lyrisme de cette « hutte primitive » qui dit doucement son nom, vient réveiller la tiédeur du discours humoristique dont nous avait habitué·es Hans Hollein depuis ses collages et détournements plastiques présentés en début de parcours.

Vue d’une partie de l’installation Werk und Verhalten, Leben und Tod. Alltägliche Situationen [Le travail et le comportement, la vie et la mort, Situations de tous les jours], originellement présentée à la Biennale de Venise en 1972 et reconstituée au Centre Pompidou, 2025.
L’architecte aurait-il pu n’être qu’artiste si l’époque le lui avait permis ? Si l’opportunisme de la fin du XXe siècle n’avait pas sonné l’heure des grands travaux et des commandes grandiloquentes ? Choix conscients ou aubaines de son temps, les réalisations de l’architecte changent peu à peu d’échelle : en Allemagne, à Mönchengladbach, l’architecture n’est plus un spray, c’est un musée de 3 500 m2, le Museum Abteiberg, ouvert en 1982. Si la gamme monte, le rythme se maintient : comme le rappellent Julia Motard et Yûki Yoshikawa, attachées de conservation et commissaires associées de l’exposition : « Pour Hans Hollein, l’architecture doit être envisagée comme une interaction entre le symbolique et le fonctionnel. […] [Son] langage spatial [est] fondé sur des formes sculpturales et des métaphores. » D’où la colonnade de La Strada Novissima, pour la première Biennale d’architecture de Venise en 1980, les façades miroitant les volutes viennoises de la Haas Haus (1990) ou encore les cônes tronqués, dorés en France (Vulcania, Saint-Ourse-les-Roches, 2002), ajourés à Taïwan (siège social d’E-Ton Solar, Tainan, 2008).
Art conceptuel, revues d’avant-garde, architecture radicale, boutiques pop, design Memphis et superpositions postmodernes… Hans Hollein est à lui seul l’impeccable tableau de la deuxième moitié du XXe siècle, brièvement mais suffisamment brossé dans l’exposition du Centre Pompidou. En 1985, au moment de recevoir le prix qui fera de lui le premier – et seul à ce jour – architecte autrichien à être auréolé d’un Pritzker, Hans Hollein déclarait : « J’ai toujours considéré l’architecture comme un art. Pour moi, l’architecture n’est pas la solution à un problème, c’est l’élaboration d’une déclaration. Dans les deux pôles de cette activité, l’architecture en tant que rituel et l’architecture comme moyen de maintenir les corps en vie, ma recherche porte sur l’absolu, ainsi que sur les besoins et les contraintes qui génèrent la forme. » Tout Hans Hollein fut architecture.
Hans Hollein. transFORMS Jusqu'au 2 juin 2025 Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou Place Georges-Pompidou, 75004 Paris