À l’école du collectif
Jusqu’au 12 février, arc en rêve présente « Salle de classe, architecture de l’adolescence » , une exposition consacrée à la salle de classe comme support de l’apprentissage et de la socialité adolescente. Comment l’architecte peut-il prendre en compte la complexité des interactions qui ont lieu dans cet espace hyper-normalisé, mais parfois aussi pensé pour être transgressé ?
Quatre exemples seront présentés dans arc en rêve papers, les dossiers annexes du centre d’architecture bordelais diffusés en partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui. Quatre écoles adaptées à l’adolescence par Anna Heringer, Xaveer De Geyter, Hermann Kaufmann, Ilze et Heinrich Wolff. Premier volet de cette série, l’architecte Joaquim Moreno et Fabrizio Gallanti, directeur d’arc en rêve discutent avec les architectes sud-africains Ilze et Heinrich Wolff.
L’école Cheré Botha au Cap
Joaquim Moreno : Salle de classe, architecture de l’adolescence s’intéresse à la façon dont l’outil d’apprentissage le plus commun et le plus répandu – la salle de classe – façonne l’apprentissage. Vous avez construit plusieurs écoles en Afrique du Sud. Quelle est votre expérience dans ce domaine ?
Heinrich Wolff : C’est en travaillant sur une école pour les enfants neuro-atypiques que nous avons pris conscience de la nécessité de tenir compte d’une multitude de besoins différents. Parmi les enfants que nous avons rencontrés, certains sont très intelligents mais éprouvent des difficultés à se socialiser. D’autres s’en sortent au contraire très bien socialement, mais ont du mal à acquérir de nouvelles compétences. La vocation de cette école est donc de rapprocher deux groupes d’élèves – les enfants au spectre autistique et les enfants ayant des troubles de l’apprentissage – qui, traditionnellement, étaient maintenus séparés. Ce rapprochement leur permet de s’affirmer mutuellement à travers leur expérience collective. C’est un aspect fondamental de la conception que nous avons proposée.
Lorsque nous avons été mandatés pour ce projet d’école, le cahier des charges préconisait des salles de classe avec un couloir central. Il préconisait également des espaces qui soient le reflet d’un univers et de relations domestiques. Mais il n’abordait pas la question des relations avec la ville, de la coexistence avec les autres et de la dimension collective de l’apprentissage.
Le point crucial de notre intervention a précisément été de proposer que l’espace du collectif soit l’espace le plus important de l’école. En plus d’une éducation et d’une formation de base, le souhait est aussi d’aider les élèves à se faire une place dans la société, tant sur le plan économique que social. C’est de là qu’est venue l’idée de construire les cours avec une charpente en A, entre les salles de classe.
Ces espaces, qui sont à la fois ouverts et couverts, permettent aux enfants, qui sont parfois sujets à des maladies respiratoires, de jouer dehors sans tomber malades. Les espaces couverts permettent à chacun de participer. Ce sont des espaces totalement indéfinis. Nous avions déjà été impliqués dans la conception de bâtiments éducatifs pour lesquels avaient été créés ce type d’espaces publics non spécifiques, où l’on peut faire de l’art, de la gymnastique, courir, etc. La présence d’espaces ouverts au cœur de l’école est une façon de rappeler le caractère essentiel de l’espace public dans l’éducation.
Joaquim Moreno : Dans quelle mesure vous intéressez-vous aux formes de composition ?
Heinrich Wolff : Le discours que nous tenons est proche du sujet de votre exposition, à savoir que la forme collective a moins à voir avec des schémas préexistants qu’avec des individus et la façon dont ils sont engagés socialement. Notre société souffre aujourd’hui de déficiences qui sont dues à l’absence de collectif dans l’architecture. Dans l’école, les espaces intra-architecturaux reproduisent les qualités de l’urbanité, au sens spatial du terme mais aussi à travers les relations humaines qui y sont encouragées, en particulier éducatives. La question n’est pas seulement de réunir des personnes, mais aussi de les réunir dans des conditions qui renforcent la capacité de l’élève à s’inscrire dans la société, ainsi que la capacité de l’enseignant à assurer le calme.
Joaquim Moreno : C’est l’une des questions que pose l’exposition. Les écoles ont des portes fermées. L’enseignement se déroule dans une salle fermée. Que se passe-t-il lorsqu’on ouvre la porte ?
Heinrich Wolff : Ce qui est intéressant avec la notion de « transgression », c’est qu’elle est généralement considérée comme un mouvement du centre vers la périphérie. Ici, c’est le contraire. À partir de la périphérie sociale et neurologique où ces enfants ont été relégués, nous essayons de les ramener au centre de la société. À l’origine, l’école devait se trouver dans l’enceinte d’un hôpital psychiatrique. Nous avons passé beaucoup de temps à convaincre le client de lui trouver un autre emplacement. Il nous a fallu plus de deux ans et demi pour obtenir que l’école soit construite ailleurs que dans les limites de l’hôpital psychiatrique. Elle a finalement été construite dans une banlieue ordinaire du Cap. Arriver à ce degré de normalité a été un exploit. Aujourd’hui, on pourrait penser qu’elle a été construite comme n’importe quelle école, mais l’origine du projet était tout autre.
La présence d’un espace ouvert au centre du bâtiment contribue également à une gestion quotidienne plus sereine dans l’école. Certains enfants peuvent devenir incontrôlables, se mettre à courir dans tous les sens et se blesser. Pour assurer leur sécurité, il est donc nécessaire d’avoir plusieurs cours qui soient séparées par des barrières et des clôtures. La création d’un espace ouvert et commun à l’intérieur du bâtiment rend ces dispositifs de sécurité moins visibles, moins stressants pour l’équipe qui encadre les élèves. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de transgression.
Fabrizio Gallanti : Je pense que cette idée d’introduire une forme de normalité est très forte car elle répond aujourd’hui à une certaine demande des enfants, qui veulent plus de structure et un cadre plus formel dans les pratiques d’apprentissage quotidiennes.
Les expériences post-hippies d’école autogérée semblent susciter moins d’enthousiasme chez les adolescents ; ils aspirent à une plus grande sérénité, ils veulent plus de structure et moins d’incertitude. Cela pourrait être le début d’une conversation très intéressante.
Heinrich Wolff : Il faut être prudent lorsqu’on utilise des termes comme « normal ». Ces écoles, on les appelait autrefois « écoles spécialisées ». Des écoles pour les enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux. Notre idée n’est pas de faire une école spécialisée, mais une école évoluée. En d’autres termes, ce que nous voulons, c’est que cette école évoluée et sa fonctionnalité correspondent à ce que l’on trouve couramment dans d’autres environnements éducatifs, urbains, domestiques ou même professionnels. Pour y parvenir, il faut arrêter d’être « spécialisé ».
Ilze Wolff : Lorsqu’on a reçu les spécifications détaillées de l’école, l’une des préconisations était que les enfants ne soient pas exposés à une lumière trop vive. Il était spécifié que nous devions éviter les contrastes de lumière et de couleur et privilégier une palette de couleurs subtile afin de ne pas créer d’hyperstimulation. Une signalétique claire, une bonne acoustique faisaient également partie de ces recommandations. Quand nous avons additionné tous ces éléments distincts, il en est ressorti que ce qui était attendu était une architecture de qualité.
Heinrich Wolff : Nous avons construit six modèles différents de bâtiments avec une charpente en A, en essayant chaque fois de trouver la bonne lumière, un environnement peu éblouissant.
L’une des grandes difficultés était la contrainte budgétaire, car le budget avait initialement prévu des couloirs. Lorsque nous avons soumis notre projet de conception, on nous a dit que c’était bien, mais qu’il était irréalisable. On a demandé pourquoi, et on nous a répondu qu’on n’aurait pas les fonds pour construire ces gigantesques cadres en « A » à la place des couloirs qui avaient été prévus.
Le projet et le budget que l’on nous a remis au départ correspondaient à un type de bâtiment qui ne laissait pas de place à l’espace partagé. Notre défi a été de créer un espace partagé fonctionnel. Pour ce faire, nous avons dû simplifier les salles de classe à l’extrême en termes matériels et financiers afin de créer un type d’espace éducatif qui, selon nous, avait plus de sens que celui pour lequel le budget avait été alloué. C’est un exercice colossal et une transgression à la fois. Les salles de classe sont des espaces très simples et très basiques. Nous avons décidé de placer les fenêtres sur un seul côté. Cela faisait partie de notre stratégie pour transgresser les limites de coût. On a pris l’espace affecté pour les couloirs entre les salles de classe et on a interverti, parce qu’on devait privilégier ce qui est le plus important d’un point de vue architectural. Si on regarde l’ensemble des maquettes, ce qu’on a fait à chaque fois qu’on a redessiné la section, c’est de supprimer des éléments pour respecter le budget.
Nous avons été très inspirés par Top Gear, l’émission de télévision sur le tuning de voitures. Dans une des émissions, il y a une course où une camionnette réussit à battre une voiture de course car tous les éléments qui n’étaient pas utiles avaient été retirés. Nous avons fait la même chose. Les premières maquettes comportent beaucoup plus d’éléments que dans la maquette finale. Avant de procéder à cet élagage, nous dépassions le budget de 20 %. Nous avons donc supprimé 20 % des éléments pour que le projet soit conforme au budget. Ils ont dit que ça ne marcherait jamais. Eh bien, finalement, on a réussi.
Exposition « Salle de classe, architecture de l’adolescence » arc en rêve centre d’architecture, Bordeaux Jusqu'au 12 février 2023