Architecture

Anne Pezzoni, « Jouer collectif contre les normes gâchis »

Invitée par L’Architecture d’Aujourd’hui, Anne Pezzoni – associée de l’agence archi5 basée à Montreuil et Varsovie – s’exprime sur les enjeux de la profession. 

Logements Lebour à Montreuil, archi5. © Sergio Grazia
Logements Lebour à Montreuil, archi5. © Sergio Grazia

Quand je dis à un enfant que je suis architecte, je lui explique que je dessine des maisons. Pas que mon métier touche à l’histoire, l’art, la société, la matière. Ni qu’il est une pratique éclairée par une vision du monde. Ni qu’il suppose d’être un commercial et un avocat en étant un artiste. Si l’enfant s’inquiète que mes maisons tiennent debout, je lui dis que c’est ma responsabilité et l’essentiel de mon travail. Je ne lui mens pas : pratiquer l’architecture en 2018 consiste en 20% de recherche et de création et 80% de combat au service de l’architecture et de son sens pour la société où elle se réalise. C’est de ce rapport et de ce qu’il révèle dont je vous parlerai depuis ma lucarne, celle d’associée d’une agence solide, accédant à la commande publique et privée : le carré VIP des artisans du rêve.

Les 20% de recherche et de création ? Il est probable qu’ils soient communs à tous les architectes qui vivent leur rêve en construisant ceux des autres. Un bonheur et un moteur, qui doivent être puissants pour nourrir les 80% du temps et de l’énergie mobilisés en combats.

Le premier de ces combats est celui du sens de notre métier. Il consiste à faire exister la notion même d’architecture dans le cadre de la commande. La dilution des pouvoirs et la spécialisation fait des ravages dans les collectivités territoriales. La commande publique a multiplié les intervenants, au détriment d’interlocuteurs, incarnant, avec leur vision, leurs projets, leurs exigences, une maîtrise d’ouvrage responsable. De spécialistes en commissions, d’experts en avis qualifiés, l’architecture disparaît derrière une pile branlante de dossiers à charge. Chacun vaque à son métier, l’économie, l’énergie, la sécurité… loin de ce qui se joue réellement : la création d’un bâtiment où vivront, travailleront des gens. La qualité et la pérennité du lieu, sa lumière, ses matériaux, les choix essentiels à son confort dépendent pourtant de plus en plus de leurs arbitrages. Plus grave : cette dépendance affecte la conception même. L’architecture laisse trop souvent place à la production de bâtiments calibrés pour répondre à des cahiers des charges. Ce qui est la pire des capitulations.

Côté commande privée, les nouvelles ne sont pas meilleures. L’architecte y est de plus en plus compris comme un dessinateur de façade, un graphiste en bâtiment, qui allonge les délais de livraison sans que, la plupart du temps, sa signature soit valorisable. Pas étonnant que la « maîtrise des coûts » chère aux promoteurs commence par raboter ses honoraires, puisqu’il s’agit de cosmétique et qu’elle réduit ses marges. Expliquer qu’il est, au contraire, le concepteur et le garant de la meilleure économie générale du projet est un combat sur le terrain économique. Et il est rarement victorieux.

Le troisième combat est celui des normes. Chaque saison annonce sa nouvelle collection de labels, RT… Les normes défilent, se superposent et s’amoncèlent. Chaque année apporte son lot de lois, de révision, d’améliorations, laborieuses jusqu’à l’étouffement, contradictoires jusqu’à l’absurde. Nous le constatons : l’écologie est servie à la sauce verte de la communication, l’économie d’énergie fabrique des usines à gaz dont l’obsolescence est programmée à court terme. Si la plupart des architectes les acceptent en courbant l’échine, ce n’est pas qu’ils capitulent. Au contraire : ils adhèrent majoritairement au projet d’un cadre légal permettant de réaliser des bâtiments plus écologiques, de meilleure qualité. Le problème est ailleurs : comment proposer un standard à une profession qui ne fabrique que des prototypes ? Nos institutions professionnelles ont du pain sur la planche.

Dans un métier où la concurrence est exacerbée par les concours, il faut jouer collectif. Profiter d’une époque où de plus en plus de projets s’écrivent à plusieurs pour faire émerger le sens de notre travail. Comme Georges Bataille, je pense que l’architecture est l’expression de l’être même des sociétés, de la même façon que la physionomie humaine est l’expression de l’être des individus. Pour la nôtre, nous défendons des choses simples : plus de lumière naturelle, une bonne qualité thermique, plus d’espace, de rapport à l’extérieur. L’architecture que nous faisons dialogue avec la nature, le ciel, les arbres, la terre. Concevoir une école, c’est absorber les contraintes et donner le meilleur pour ceux qui vont s’y épanouir. On ne devient pas la même personne selon l’école où l’on a grandi. Le lieu restitue à ses usagers l’intention qui a guidé sa conception. C’est cette part subtile et complexe que je veux défendre.

Anne Pezzoni, le 12 décembre 2017
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