Adaptations, une conversation entre Tadashi Kawamata et Catherine Grout
Il y a tant de mots pour décrire les créations de Tadashi Kawamata, artiste japonais né à Mikasa en 1953, que lui qualifie comme « perpétuellement en cours ». Catherine Grout, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille (ENSAPL) et observatrice attentive de son oeuvre depuis le milieu des années 1980, ajoute que « son travail est comme un dialogue qui exprime la manière dont les choses sont reliées entre elles ». Dans l’entretien qui suit, ils discutent de « structures parasites », mais aussi « d’états temporaires » et « d’adaptations », en contrepoint de la forme ou de l’objet. Comme le dit Tadashi Kawamata, tout tient en définitive à l’« action ». En d’autres termes, au fait d’être en vie.
Cet entretien est à lire en intégralité dans le dossier du n° 438 de L'Architecture d'Aujourd'hui – un numéro spécial pensé avec la complicité de l'artiste Tadashi Kawamata. Rendez-vous sur notre boutique en ligne.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Tadashi Kawamata, tout au long de votre carrière, vous avez élaboré des structures parasites, que celles-ci tendent à la prolifération (Gandamaison, Versailles, 2008) ou simplement ponctuent l’espace (Tree Huts, depuis 1999). Qu’évoque pour vous ce terme de « parasite » ?
Tadashi Kawamata : Lorsque j’ai commencé à travailler, dans les années 1980, mes premières pièces étaient comme des parasites, des virus, un cancer qui progressait. Un parasite n’est pas une structure autonome. Il utilise, pour croître, l’énergie d’un autre système. J’étais aussi influencé par certaines catastrophes naturelles, comme le tremblement de terre de Kobe, en 1995. Il existe un lien entre phénomènes naturels et parasites. Une société est bien souvent le parasite d’une autre, comme l’illustre Parasite, le film de Bong Joon-ho sorti en 2019. Lorsqu’une catastrophe naturelle se produit, cette codépendance devient subitement plus visible.
Catherine Grout : Le terme de « parasite » me rappelle aussi l’une de tes expositions, que j’avais visitée à Tokyo en 1998, intitulée Tokyo Project, New Housing Plan. C’était une exposition très politique, liée au contexte. Elle montrait comment, en tant qu’artiste, il est possible d’agir sur la ville en occupant des structures consuméristes, par exemple un distributeur automatique de boissons. Ton travail parlait des différentes façons de vivre et de travailler dans une ville aussi gigantesque que Tokyo. Qu’est-ce qu’une ville en mouvement ? Fondamentalement, ce n’est pas une question de forme ni même de fonction, mais de manière d’être.
TK : Tout à fait, c’est bien d’action qu’il s’agit. Les distributeurs automatiques sont extrêmement répandus à Tokyo. Je voulais savoir combien d’argent ils pouvaient générer. C’était autant une recherche économique qu’une action politique.
CG : Comme tu viens de le dire, un parasite ne peut être autonome et il doit s’attacher à autre chose. Tout est relié. C’est aussi le cas dans ton travail : il est en lien avec ce qui est déjà là, ce qui lui préexiste, et tes oeuvres sont comme un entre-deux.
AA : Votre travail est en effet étroitement lié aux entre‑deux : entre intérieur et extérieur, entre mouvement et structures construites… Il se situe toujours quelque part entre deux états.
TK : Je n’y vois nullement une contradiction. Lorsque j’ai commencé à présenter des installations à l’intérieur de galeries, je les ai tout de suite étendues à l’extérieur : à partir des murs, puis des fenêtres, puis sur l’enveloppe extérieure des bâtiments. La peau d’un bâtiment fait partie de celle de la ville : il y a entre ces deux peaux une continuité. L’entre-deux doit se penser en termes d’espace, de temps et d’action.
CG : L’enjeu est de comprendre comment les choses se rattachent à un « milieu », c’est une forme de dialogue. En japonais, le terme ma peut se traduire par « entredeux ». Il en existe aussi un autre : ba, qui a trois significations distinctes. Le lieu, en tant que « milieu », la scène, et le champ, au sens de « champ énergétique ». Ce terme et ses trois significations recouvriraient l’essentiel du travail de Tadashi. Cela va bien au-delà de la notion de forme.
TK : Dans certains cas, le site est très important et, ailleurs, totalement neutre. Il m’arrive de concevoir une scène, une structure basique qui permet ensuite aux gens de participer. Par exemple, pour Collective Folie, à La Villette, en 2013, j’avais simplement construit une structure élémentaire, et les gens ont contribué à l’élaboration de l’oeuvre.
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