Architecture

AlUla Studio, l’oasis des possibles

Vendredi 14 février, dans l’espace galerie de l’École nationale d’architecture Paris-Malaquais, rue Jacques Callot, se tenait l’inauguration de l’exposition AlUla Studio, orchestrée par la Villa Hegra, une des entités culturelles issues du partenariat diplomatique entre la France et l’Arabie saoudite. Conviée par la commissaire Meriem Chabani, AA livre ici son retour de visite.


Clémentine Roland, Anastasia de Villepin

© Make It Live – Christophe Pelletier

Depuis quelques années déjà, nombre de choses se trament à AlUla, une oasis de 22 561 km² située dans la province de Médine, dans le nord-ouest de la péninsule arabique. Fruit d’un accord intergouvernemental entre la France et l’Arabie saoudite, l’Agence française pour le développement d’AlUla (Afalula) œuvre depuis 2018 à développer les projets tant culturels que touristiques à grand renfort, entre autres, de sommités du monde architectural et artistique français. Et ça fonctionne : les projets architecturaux – ceux livrés et à venir – sont depuis longtemps sur toutes les lèvres de la presse spécialisée et généraliste, AA comprise (voir AA n° 446, Construire en milieu extrême, décembre 2021-janvier 2022).

Celle qu’on connaît moins sans doute, c’est la ville du même nom qui fleurit au cœur de cette oasis, à quelques kilomètres au sud des resorts et autres excavations. Aujourd’hui, AlUla abrite environ 50 000 habitant·es, négocie son histoire entre une ville nouvelle construite dans les années 1970 et une « vieille ville » de terre et de pierre. Jusque dans les années 1980 – date à laquelle cette dernière fut progressivement abandonnée – une partie des habitant·es déplaçait son lieu de résidence tous les six mois environ dans la fraîcheur de la palmeraie, durant la période la plus chaude de l’année, avant de retourner en ville. Si ces mouvements prirent fin avec la naissance de la « ville moderne », ils laissent néanmoins derrière eux quelques traces de fermes et de mosquées, qui viennent s’ajouter à la richesse du patrimoine conservé dans les méandres de la vieille ville délaissée et à la splendeur immémoriale de la nécropole d’Hegra, au nord d’AlUla.

C’est dans les entrelacs de ces histoires urbaines que s’est niché le programme d’échange universitaire entre la France et l’Arabie saoudite, conçu par la Villa Hegra – l’institution culturelle sœur des « Villas » Médicis à Rome, Kujoyama à Kyoto, Albertine aux États-Unis et de la Casa de Velázquez à Madrid. D’octobre 2024 à février 2025, trente étudiant·es saoudien·nes et français·es du College of Architecture and Design de la Prince Sultan University et des écoles nationales supérieures d’architecture (Ensa) Paris-Malaquais et Paris-Val de Seine ont interrogé le maillage d’AlUla et les possibilités de sa mutation. « Le sujet d’AlUla, c’est la ville ordinaire », précise Meriem Chabani, architecte, enseignante à l’Ensa Paris-Malaquais, responsable – avec Gilles Delalex (studio muoto) et Colin Reynier (DATA) – du studio « Al’Ula, l’impossibilité d’un désert »1 et commissaire de l’exposition AlUla Studio. Inaugurée en février 2025, l’événement présentait le résultat de six mois d’échanges entre les étudiant·es et des deux semaines [à confirmer] passées sur place pour étudier le site. Maquettes, photographies et peintures exposés en majesté témoignaient non seulement de cette expérience interculturelle, mais également, et surtout, de la pertinence de l’approche des jeunes praticien·nes sur un site donné.

« Les étudiant·es se sont constitué·es en cinq équipes franco-saoudiennes pour proposer des projets qui ne soient pas simplement des réponses architecturales mais aussi urbaines, précise Meriem Chabani. Dans cette ville nouvelle modelée par le pétro-urbanisme, l’édification d’un bâtiment peut agir pour penser l’espace public. Dans l’ensemble, ces projets encouragent le passage d’une ville des voitures à la ville des femmes et des hommes. » En témoigne, par exemple, la proposition de Capucine Smirou et Jade Soria de construire, autour du site logistique accueillant l’unique point d’eau de la ville, un « objet architectural » qui suivrait les mouvements des camions-citernes venant s’y approvisionner – pour non seulement intégrer les forces productives de la ville, mais aussi générer de l’espace public ombragé et rafraîchi par l’eau voisine. Les projets d’espace public investissent aussi les abords d’une mosquée, où s’élève une ombrière bienvenue, mais également la vieille ville ; les projets de Matias Botero et Chérie Macbeth ou de Rahaf Aladwan et Amal Amalri font ainsi d’une gare désaffectée située sur la ligne reliant Damas à La Mecque le théâtre de « parcours palimpsestes », où la ruine, mise en scène, devient un lieu « que l’habitant urbain ne contourne plus ».

© AA
© Make It Live – Christophe Pelletier © AA

Loin de l’ego trip qui peut parfois habiter les starchitectes sûres de leur geste, la lecture de ces projets d’étudiant·es révèle au contraire une compréhension précise du site, vierge de tout dogmes et discours utopiques. « Contrairement au Qatar ou aux Émirats, l’Arabie Saoudite est un pays immense dont les habitant·es mènent des niveaux de vie très variés », rappelle Meriem Chabani, qui souligne en ce sens : « Les étudiant·es se sont notamment nourri·es de conversations avec les Saoudien·nes mais aussi les travailleur·ses étranger·ères vivant sur place, employé·es des chantiers alentour. » De là le projet « Rawah » de Saba Alobaid et Adim Alnassar, qui dessine des logements sociaux collectifs inspirés de la ville traditionnelle et de ses maisons à patio, ménageant l’intimité des habitant·es côté rue et des espaces partagés côté cour.

En plus des différents jurys de fin de semestre auxquels se sont prêtés les étudiant·es dans leurs écoles respectives, un second comité s’est tenu dans la matinée précédant l’inauguration de l’exposition. Présidé par Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (architectes de la Villa Hegra, dont le chantier démarrera prochainement), Étienne Tricaud (directeur de l’architecture et de l’urbanisme à Afalula) et Sara Ghani (responsable du Design Space AlUla pour la Commission royale pour AlUla, ou RCU), le jury a distingué les projets Palimpsest Garden de Matias Botero et Chérie Macbeth (ENSA-Paris-Malaquais), Inhabiting the Oasis de Nour Ayad et Sacha Garenne (ENSA-Paris-Val-de-Seine) et Palimpsest Journey de Rahaf Aladwan et Amal Alamri (Prince Sultan University). « Au premier trimestre 2026, les étudiants lauréats seront invités à participer à une résidence d’architecture au sein du bâtiment temporaire de la Villa Hegra », précise Fériel Fodil, directrice générale de l’institution, qui se réjouit « du rôle tenu par l’architecture dans le renforcement des relations franco-saoudiennes. » À rebours des préjugés que l’Occident peut nourrir pour les décisions architecturales et urbaines du monde arabe – jetant, sciemment ou non, un voile pudique sur ses propres erreurs –, l’exposition AlUla Studio rappelle, avec intelligence, que l’oasis est un site comme un autre.

Notes

1. Le studio « AlUla – L’impossibilité d’un désert » s’est inscrit dans un partenariat avec la Villa Hegra, la Commission royale pour AlUla (RCU) et l’association Patrimed. Hormis les enseignants de l’ENSA-Paris-Malaquais cités dans l’article, le studio était encadré par Sébastien Mémet, Paolo Tarabusi et Rita Khalaf pour l’ENSA de Paris-Val-de-Seine, et par Dr. Jane G. H. Handal, Dr. Ola Jarrar et Dr. Eman Abowardah étaient responsables du studio pour la Prince Sultan University.


AlUla Studio
Jusqu'au 28 février 2025
Galerie d’architecture Paris-Malaquais
1 rue Jacques Callot, 75006 Paris
Entrée libre

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