Architecture tropicale à Ouagadougou : espoirs et défis
Pougdwendé Léandre Guigma est architecte-urbaniste, co-gérant de l’Agence Perspectives créée en 2008 avec l’architecte béninoise Solange Kpogbemabou et dans laquelle il dirige le département Urbanisme et développement local. Titulaire d’un doctorat en architecture depuis 2017, après avoir soutenu une thèse qui interrogeait les interférences entre les pratiques des citadin·es et les politiques publiques dans l’aménagement et la gestion urbaine des quartiers non-lotis de Ouagadougou au Burkina Faso, Pougwendé Léandre Guigma a participé à la troisième édition de la Biennale d’architectures tropicales qui s’est tenue en novembre 2024 sur l’île de La Réunion. Pour ‘A’A’, il revient sur la présentation qu’il y a tenue, et présente dans une tribune les défis et enjeux de l’architecture tropicale à Ouagadougou, où il habite et exerce.
Pougdwendé Léandre Guigma, architecte-urbaniste, docteur en études urbaines et aménagement
Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, Ouagadougou abrite trois millions d’habitants dans une ville tropicale à deux saisons : une saison sèche de huit mois, d’octobre à mai et une saison humide de quatre mois, de juin à septembre. Il y fait chaud toute l’année, avec des températures moyennes qui oscillent entre 18 et 39°C.
Le paysage urbain de Ouagadougou a beaucoup évolué au cours des deux dernières décennies, avec une tendance à la « durcification » du cadre bâti, passant d’une « bancoville », de couleur ocre, à une « cimentville », de couleur grise. Cette « durcification » de l’habitat est surtout perceptible dans les quartiers précaires, communément appelés « non lotis », qui occupent 25 % de la superficie de l’agglomération.
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Un habitat populaire peu qualitatif généralisé
Aussi bien dans les zones loties que dans les zones non loties, la tendance générale est à une homogénéisation du style d’habitat populaire, constitué de maisons réalisées en maçonneries de parpaings de ciment et recouvertes de toitures de tôles. Ces maisons, inadaptées au climat tropical, en raison de l’inconfort thermique qu’elles engendrent, sont celles qui se reproduisent le plus, par des autopromoteurs de logements, à l’aide de maçons. En effet, les constructions en banco (brique de terre crue) se font de plus en plus rares en ville. En marge des quartiers populaires s’érigent quelques zones d’habitations modernes et des zones d’activités, où interviennent principalement les architectes. Ces quartiers résidentiels modernes sont caractérisés par une tendance à la construction en hauteur au moins sur deux niveaux ainsi que par l’utilisation de matériaux géo-sourcés (blocs latéritiques taillés et briques de terre compressée) par une petite élite avertie. Au niveau des zones d’activités, la tendance est à la verticalité des constructions avec des hauteurs allant de 6 à 14 niveaux, avec une utilisation de matériaux importés tel que les vitres et l’aluminium en façades et le dessin de formes épurées, inspirées de l’architecture occidentale.
La plupart des concepteurs en Afrique rêvent d’une « architecture contemporaine africaine » qui semble plus facile à exprimer dans les discours et les intentions que dans les faits. Hormis quelques gestes architecturaux remarquables isolés, cette architecture tropicale identitaire reste à conceptualiser et à développer à grande échelle, pour non seulement répondre à un besoin croissant de logements et d’activités urbaines, mais aussi pour substituer cette image dominante d’une ville autoconstruite par ses habitants, au gré des opportunités et de la débrouille.
La forte dominante des matériaux importés et non biosourcés dans la construction impose davantage d’adaptation des dispositifs architecturaux et constructifs aux exigences d’une architecture tropicale bioclimatique. Mais le déploiement de cette architecture repose sur des leviers dépassant le strict de champ conceptuel, technique et architectural, pour embrasser l’écosystème socio-économique, culturel et environnemental.
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Vers une ville industrialisée
L’un des principaux obstacles à la généralisation de l’écoconstruction est que le coût des matériaux locaux et de la main d’œuvre qualifiée n’est pas compétitif face à celui des parpaings du ciment et des maçons ordinaires. Cela est dû à une non organisation des filières locales de production et à la perte des savoirs constructifs traditionnels. Cela est lié à l’engrenage systémique commercial, industriel et psychologique international, qui promeut les matériaux occidentaux, en y associant le mirage de modernité et l’image tronquée de durabilité. Pour inverser la tendance, il faut une forte volonté politique des Etats sous les tropiques, qui se manifeste par des actes concrets. En effet, pour se défaire du dictat et du lobbying de la filière du ciment et des matériaux importés énergétivores, les Etats et les gouvernements locaux, avec le soutien des investisseurs, doivent donner le ton et donner l’exemple, à travers des politiques de décarbonation. Il est possible d’industrialiser les filières de production de matériaux locaux biosourcés en commercialisant par exemple des sacs de terre ou de paille, avec des caractéristiques bien définies. Dans ce cas, les matériaux étant normés, il est possible de normer également les dosages, permettant d’aboutir à des ouvrages conformes aux résistances requises. Il sera alors question de promotion de matériaux appropriés de construction, qui seraient des matériaux locaux industrialisés. Et l’écoconstruction consisterait à poser scrupuleusement « le matériau qu’il faut, à la place ». Cette industrialisation de la filière de production des matériaux locaux de construction pourrait soutenir significativement la forte demande d’infrastructures et de logements sur l’ensemble des établissements humains tropicaux, tout en créant des emplois.
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Vers une ville inclusive
À Ouagadougou, la demande de logements est évaluée à 20 000 unités par an, avec un gap de 200 000 logements à construire. Rien ne sert d’agrandir la ville ou de construire des « villes nouvelles » en contournant les quartiers précaires non lotis. Ces quartiers dits précaires sont des lieux de vie, de transformation et de créativité urbaine. Ils sont habités par quatre Ouagalais sur dix : ils font partie intégrante de la ville. Ce sont d’ailleurs les zones les plus denses de la ville. Par conséquent, le bon sens voudrait que l’aménagement de la ville, en termes d’infrastructures et d’équipements structurants prenne non seulement en compte ces quartiers, mais les privilégie. Ainsi, la dualité de la ville (lotie et non lotie) fera place à une ville inclusive et accessible, grâce à un réseau densifié de mobilités, ponctué d’espaces d’apaisement au sein des quartiers.
L’évolution des systèmes d’habitat en Afrique n’a de sens que s’il prend en compte les évolutions sociales, économiques et environnementales au sein des quartiers précaires dits informels ou non lotis. Ces quartiers habités n’attendent que des investissements structurants pour mieux contribuer à l’essor urbain. Il convient de diversifier la gamme des offres de logements (individuel, collectif, locatifs, etc.) pour pouvoir prendre en compte les moins nantis, dans une ville inclusive qui promeut le vivre ensemble et la mixité urbaine.
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Vers une ville humaine et végétalisée
La plupart des architectes contemporains africains intègre le végétal dans la conception et la présentation de leurs projets. Le couvert végétal est omniprésent dans les images de synthèse des projets architecturaux. L’architecture ne se limite plus au bâti mais à sa parfaite symbiose avec l’environnement naturel, de sorte à créer des espaces offrant des usages et sensations diversifiés. La durabilité architecturale n’est pas un projet fini ou figé. C’est une œuvre dont les fonctions et les usages peuvent évoluer et s’adapter au gré des besoins, des changements, en phase avec l’évolution des saisons (fraîche, chaude, humide et sèche) et en phase avec l’évolution du temps.
Il est également question de promouvoir un écosystème intégrant et valorisant les trames vertes et bleues selon chaque contexte géo-climatique territorial, en encourageant la plantation d’alignements, la multiplication des espaces verts à différentes échelles, l’aménagement de bassins de rétention, de drains, d’infrastructures vertes, afin de créer du rafraichissement urbain. Sur le plan environnemental et culturel, il s’agit de faire corps avec l’ensemble de la communauté des vivants pour une vie harmonieuse et apaisée, donnant place à l’expression des valeurs culturelles, cultuelles et spirituelles respectueuses de la nature.
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Vers des architectes et urbanistes
De nos jours, les gouvernants et décideurs devraient davantage prendre conseil auprès des architectes et urbanistes, créateurs et bâtisseurs d’espaces vivables. En Afrique tropicale, les architectes et urbanistes sont confrontés à trois défis majeurs : le défi technologique de produire des espaces urbains peu énergétivores mais adaptés aux besoins et aux usages de la vie moderne, le défi culturel de produire des espaces urbains identitaires, spécifiques aux contextes socioculturels des usagers et enfin le défi environnemental de concevoir, bâtir et vivre avec et non contre la nature.
Ces trois défis sont combinés. Ainsi les architectes et urbanistes créateurs et créatrices d’espaces urbains ont le génie de penser et de bâtir des espaces à rêver, à vivre et à aimer.
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