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Avis d’avocat : l’originalité des œuvres d’architecture

L'architecture dans l'œil du juridique : à l'invitation de L'Architecture d'Aujourd'hui, le cabinet d'avocats Loyseau de Grandmaison, expert en conseil et contentieux du droit de la propriété intellectuelle, du marché de l'art et des affaires, a accepté de rédiger pour AA plusieurs articles pour lire autrement l'architecture.
Après le design, la réhabilitation, les formes naturelles et les exceptions aux droits d'auteur des architectes, Diane Loyseau de Grandmaison et Tiphaine Aubry, avocates au Barreau de Paris, se penchent sur l'originalité, pierre angulaire du droit d'auteur.

L’originalité des œuvres d’architecture

Dans la classification commune des Arts, l’architecture occupe fièrement la première place ; c’est dire l’importance accordée à cette discipline, traditionnellement enseignée aux Beaux-Arts, à l’instar de la sculpture ou de la peinture.

Les œuvres architecturales éligibles à la protection du droit d’auteur

Cette conception de l’architecture en tant qu’« œuvre » ou « ouvrage d’art » et de l’architecte en véritable « artiste » maniant formes, volumes et matériaux, ont conduit le législateur à citer expressément les créations architecturales dans la liste non exhaustive des œuvres de l’esprit éligibles à la protection du droit d’auteur (article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle).

Le législateur protège tant les travaux « préparatoires », à savoir « plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs (…) à l’architecture » que les « œuvres (…) d’architecture » matérialisées qui en sont issues (article L.112-2 8 et 12 du Code précité).

Peu importe le caractère utilitaire ou fonctionnel des œuvres d’architecture, l’un des principes directeurs du droit d’auteur français, nourri des théories philosophiques relatives à l’unité de l’art, étant l’indifférence du mérite ou de la destination de l’œuvre.

L’originalité, pierre angulaire du droit d’auteur

Pour autant, l’architecte ne sera investi de droits d’auteur sur ses créations architecturales qu’à la condition qu’elles soient suffisamment « originales » au sens de la jurisprudence française et de l’Union Européenne, ce qui suppose de démontrer que l’œuvre reflète l’empreinte de sa personnalité, c’est-à-dire sa pensée, sous une forme tangible, au travers de choix libres et créatifs qui lui sont propres (CJUE, 12 décembre 2019, C-683/17, Cofemel, pts 30, 32, 35).

Cette notion d’originalité, appréciée souverainement par les juges du fond, les place en délicate position d’arbitres de la création, dans des secteurs qu’ils ne peuvent pas toujours maîtriser, tant les médiums et formes d’expression de la création sont vastes.

Mais ce n’est que lorsque la preuve de l’originalité de sa création est rapportée que l’architecte ou l’agence ayant divulgué l’œuvre sous son nom [1] seront investis du droit d’autoriser ou d’en interdire l’exploitation (plans, croquis, maquettes et ouvrages construits), d’en définir les conditions d’exploitation (durée, territoire, redevances etc.) et d’exiger le respect de leurs droits moraux, tels le respect de leur nom, de leur qualité et de leur œuvre, sous certaines réserves justifiées par la vocation utilitaire des bâtiments [2].

L’appréciation de l’originalité des œuvres architecturales dans le cadre de procès en contrefaçon

La condition d’originalité constitue toujours la pierre angulaire du droit d’auteur et sa preuve un véritable enjeu procédural, puisqu’elle conditionne la recevabilité de toute action en contrefaçon.

Ainsi, par un arrêt du 12 avril 2018, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé l’annulation d’une assignation délivrée à la demande d’un architecte n’ayant pas caractérisé précisément l’originalité des plans et esquisses d’un bâtiment commercial [3], dont il revendiquait la protection.

L’originalité du croquis au bâti ou comment caractériser l’originalité d’une œuvre architecturale ?

En architecture, l’originalité pourrait se démontrer au travers d’une manière singulière et personnelle d’appréhender l’espace et les contraintes environnementales (parfois nouvelles), de s’approprier le style architectural environnant de façon non traditionnelle ou, au contraire, de s’en écarter, d’imaginer des jeux de lumière et de transparence, de créer des volumes, formes et espaces inédits, de jouer avec les limites physiques d’un matériau ou de répéter de façon originale des motifs sur une toiture, une façade, une cloison…

Par un raisonnement a contrario, ne bénéficieraient pas de la protection du droit d’auteur des plans, maquettes ou constructions banals ou communs, non révélateurs d’un effort créatif identifiable et qui puiseraient dans le fonds commun de la construction et du patrimoine architectural, sans que cette œuvre fût imprégnée de l’empreinte de la personnalité de son auteur, qui la distinguerait de toute autre œuvre réalisée par un tiers ayant œuvré dans les mêmes conditions (même environnement, mêmes contraintes et exigences etc.).

La Cour d’appel de Rennes a ainsi considéré que certaines caractéristiques d’une œuvre architecturale étaient originales en ce qu’elles révélaient « l’individualité, le goût, l’intelligence ou le savoir-faire particulier » de son auteur, excluant de cette protection les « caractéristiques architecturales que l’on retrouve dans tous les plans de construction de maisons individuelles » [4].

L’originalité se distingue de la nouveauté

Mais cette notion d’originalité reste toujours assez délicate à expliciter et à prouver, en ce qu’elle se distingue juridiquement de la « nouveauté » [5], notion inopérante en droit d’auteur.

Il ne suffit donc pas qu’une création architecturale soit nouvelle pour qu’elle soit jugée originale, même si dans le cadre d’un procès en contrefaçon, pour démontrer la banalité d’une œuvre architecturale, l’un des meilleurs moyens de défense consiste à prouver l’existence de créations antérieures similaires, pour en déduire que l’architecte qui se prévaut de droits d’auteur n’a pas marqué son œuvre de l’empreinte de sa propre personnalité, puisque des caractéristiques identiques se retrouvaient dans des œuvres précédemment crées par des tiers.

Une combinaison originale d’éléments connus peut être protégée

Subtilité supplémentaire ; une combinaison d’éléments connus peut tout à fait être originale et protégée au titre du droit d’auteur, dès lors que cette combinaison est en elle-même originale.

Ainsi, par arrêt du 6 décembre 2018, la Cour d’appel d’Aix en Provence a jugé que « si chacune des caractéristiques, prises isolément, peut résulter du fond commun de l’architecture contemporaine il n’en demeure pas moins que leur combinaison porte l’empreinte de la personnalité esthétique des auteurs, le bâtiment ainsi réalisé donnant l’impression, par l’agencement des volumes et des espaces, le choix des matériaux, la forme générale de la construction, d’un vaisseau qui flotte au-dessus du jardin » [6].

Le porte-à-faux de la Villa Méditerranée, au coeur d’un procès pour plagiat entre 2013 et 2018 © Frank Eiffert on Unsplash

Cette même juridiction a jugé, par arrêt du 21 juin 2018, que si un architecte ne pouvait pas s’arroger un droit privatif sur « la technique du porte-à-faux », son intégration originale dans un ensemble architectural harmonieux, avait pu participer à caractériser l’originalité de son œuvre et sa protection par le droit d’auteur.

Pour caractériser l’originalité, la Cour relevait que le « bâtiment complexe comportant trois niveaux dédiés respectivement aux femmes, aux hommes et aux ablutions, et une toiture terrasse se présentant comme un jardin à l’ombre des palmiers de métal, porte l’empreinte de sa personnalité, en ce que par son agencement particulier d’éléments connus, qui rattache le Nord de la Ville à la mer, repose pour partie sur un porte à faux d’une grande amplitude, combiné à un bassin ouvert sur la mer qu’il surplombe, et comporte une structure métallique particulière, manifeste ainsi par cette combinaison harmonieuse, sa singularité artistique et son originalité[7].

L’originalité se distingue du savoir-faire ou de la technique

La notion d’originalité se distingue encore du « savoir-faire » et de la « technique », l’architecte étant protégé par la Loi « en tant qu’artiste créateur de formes et non en tant qu’ingénieur employant des procédés purement techniques » [8].

Cela « conduit à exclure les plans topographiques puisque l’architecte se contente de fixer des données matérielles », les plans techniques ou encore « les calculs de structures car ils ne sont que la traduction de formules mathématiques » [9].

Dans la même logique, un bâtiment n’est pas éligible au droit d’auteur si sa forme et son agencement intérieur ont été exclusivement guidés par la fonction et les normes architecturales.

Ne peuvent donc bénéficier de la protection du droit d’auteur, des plans et dessins réalisés « dans le cadre contraint du PLU de la commune », les « travaux de réhabilitation de bâtiments consistant en une remise en état aussi proche que possible de l’existant », de sorte que la société « n’a pu donner libre cours à sa liberté créatrice et traduire dans les plans et dessins remis au maître de l’ouvrage l’empreinte de la personnalité d’un auteur » [10].

Les contraintes peuvent aussi stimuler la créativité

Mais les contraintes auxquelles sont soumises les architectes ne sauraient, à elles seules, exclure l’originalité, puisqu’elles peuvent au contraire stimuler sa créativité.

Dans ce sens, il a notamment été considéré que « l’aménagement [d’un espace commercial], quadrilatère aux dimensions irrégulières, objet de contraintes particulières édictées, notamment, dans le cahier des charges de la société Aéroport de Paris, a nécessité un effort de créativité de la part de la société Mobil M dont l’œuvre a ainsi vocation à être protégée » [11].

En conclusion, la protection d’une création architecturale au titre du droit d’auteur n’est jamais évidente, mais nécessite d’être démontrée avec précision et justesse par l’architecte qui s’en prévaut.

Pour y parvenir, il est aussi essentiel que l’architecte pense à conserver les preuves datées de son propre processus créatif à chaque étape du projet ! Une idée de bonne résolution pour l’année à venir…


Diane Loyseau de Grandmaison et Tiphaine Aubry

Avocats au Barreau de Paris
www.cabinetldg.fr

 


[1] Article L.113-5 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Voir notre article consacré aux « destructions d’œuvres architecturales face au droit »

[3] Cour d’Appel, Aix-en-Provence, 2e Ch., 12 avril 2018 – n° 17/10421

[4] Cour d’appel, Rennes, 3e chambre commerciale, 23 novembre 2021 – n° 19/01684

[5] Notion relevant de la propriété industrielle et notamment du droit des dessins et modèles

[6] Cour d’appel, Aix-en-Provence, 2e chambre, 6 Décembre 2018 – n° 16/05327

[7] Cour d’appel, Aix-en-Provence, 2e chambre, 21 juin 2018 – n° 15/22117

[8] TI Nîmes, 26 janvier 1971, JCP 1971 in VIVANT Michel et BRUGUIERE Jean-Michel, Droit d’auteur et droits voisins, 4e édition, Dalloz, 2019

[9] CHAPON Aurélie, « La protection de l’œuvre architecturale par le droit d’auteur »,  Droit et Ville 2013/2 (N° 76), en ligne :https://www.cairn.info/revue-droit-et-ville-2013-2-page-11.htm

[10] Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 24 Novembre 2020 – n° 19/01232

[11] Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 11, 1er Juin 2012 – n° 10/19530


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