Architecture

À Bagneux, la terre, envers et contre tout

À Bagneux, dans l’écoquartier Victor Hugo, 19,5 hectares de nouveaux logements, bureaux et commerces, les matériaux se collectionnent comme dans un jeu des Sept Familles. Le bois, la brique porteuse et… la terre crue, mise en œuvre par les architectes de l’agence TOA pour un immeuble de 42 logements livrés au printemps pour le Groupe Gambetta.

Anastasia de Villepin

Si les architectes de TOA, Christelle Besseyre-Gayaud et Pascal Thomas (les associés de l’antenne parisienne), ont misé sur la terre crue, c’est que la ZAC au sein de laquelle ils ont livré leur bâtiment exigeait « une mise en œuvre innovante » de matériaux. Aux uns le CLT (Nicolas Laisné), aux autres la brique porteuse (Tolila Gilliland) donc, et aux architectes de TOA, l’adobe : une terre moulée et séchée, manipulée par une filière qui leur a permis d’optimiser la mise en œuvre, puisque que ce sont les mêmes moules utilisés pour les briques de terre cuite.

© Yang Zhou

Les architectes ont cependant dû revoir leurs ambitions à la baisse : sans ATEX, ils n’ont pu utiliser la terre crue comme ils le souhaitaient – à l’inverse de l’école Miriam Makeba que l’agence a livrée en 2019 à Nanterre, dont les murs avaient pu être remplis à la main, en pisé autoporteur. À Bagneux, TOA peut néanmoins compter sur un DTU « petite maçonnerie » qui lui permet d’utiliser les briques de terre crue extrudée en remplissage, seulement, de la structure béton. Il faut entrer dans les logements pour que cette terre se suffise à elle-même.

À l’intérieur, lors de la visite d’un petit T1, la brique de terre crue fait son effet, plantée dans le salon comme un manifeste. Le liant est fait de terre et de sable, sans fibre végétale – et sans ciment, naturellement. On aurait aimé la terre nue, elle se retrouve « encagée ». En haut du mur de briques, un étai en métal que Pascal Thomas compte parmi les « détails politico-administratifs » qui ont ralenti les aspirations des concepteurs : « Le bureau d’études brique a demandé qu’il y ait cet étai métallique de peur que le mur ne tombe. » En pied de mur, la terre est cuite, pour assurer l’assise.

© Yang Zhou

Quel avantage de lutter pour la terre, dans des conditions si contraignantes ? Les architectes répondent en chœur : « La terre absorbe la vapeur d’eau et la distribue, elle assure ainsi un excellent confort thermique. Par ailleurs, grâce à la terre crue, tous les logements sont traversants, du T1 au T5. Il s’agit aussi d’un geste politique : montrer qu’on peut utiliser autre chose que du béton, c’est une forme de pédagogie en aval, envers les propriétaires mais aussi en amont, pendant le chantier. »

Pendant le chantier, la terre ne passe pas inaperçue : les spécialistes de la terre crue s’affairent à monter les murs en briques, sous les regards circonspects des autres ouvriers, certains originaires de pays d’Afrique[1] où le pisé est couramment utilisé, quand il n’est pas dévalué. L’une des architectes de l’agence, d’origine marocaine, souligne d’ailleurs les différences d’un pays à l’autre : « Au Maroc, contrairement en France, la mise en œuvre de la terre crue n’est pas un problème au niveau de la règlementation. En revanche, nous n’avons pas de structures type Cycle Terre, Amaco, etc. pour accompagner les chantiers et les solutions techniques. » Pour Pascal Thomas, « Concernant la terre crue, il y a deux façons de militer : faire des opérations cousues main, précises mais intimes ; ou essayer de pénétrer le système et consolider la présence de la terre crue dans une filière. »

© Yang Zhou

 


42 logements en terre crue, Bagneux, Hauts-de-Seine

Programme : 42 logements en accession
Maîtrise d’ouvrage : Groupe Gambetta
Architectes : TOA Architectes Associés
Photographies : Yang Zhou
Surface : 2 960 m2 sdp
Livraison : 2024
Coût : 4 930 000 € HT


[1] En 2018, selon un recensement de l’Insee, 60,8 % des actifs immigrés travaillent comme ouvriers non qualifiés du gros œuvre du bâtiment, des travaux publics, du béton et de l'extraction ; 60,7 % comme ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment. Toujours selon l’Insee, 11,5 % des travailleurs immigrés en Île-de-France sont originaires d’Afrique centrale ou guinéenne.

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