« Comme à… » le Quid de Philippe Trétiack
Architecte et urbaniste de formation, Philippe Trétiack est journaliste et écrivain. Grand reporter depuis trente ans, il collabore avec plusieurs magazines, dont Vanity Fair, ELLE Décoration, Air France Magazine… Auteur, il a publié une vingtaine d’ouvrages dont Faut-il pendre les architectes ? (Seuil, 2001), De notre envoyé spécial (Éditions de l’Olivier, 2015), et L’Architecture à toute vitesse (Seuil, 2016). Dans les pages de L’Architecture d’Aujourd’hui, Philippe Trétiack décrypte avec humour le jargon de l’architecture dans la rubrique Quid ? Pour le N°433, il s’attaque à l’expression « Comme à… ».
La frénésie touristique qui, à marche forcée, annihile toute différence entre les villes, les vouant à n’être que fatras d’échoppes à souvenirs et ziggourats d’Airbnb, grignote désormais les carrés les plus reclus de l’architecture. Ainsi, et tandis que les foules exaspérées se révoltent à Venise ou Barcelone contre le vêlage des croisiéristes en bermudas, nos créatifs talentueux cèdent à la manie du jour en transformant les accès de leurs immeubles de bureaux en « halls d’hôtel ». Les mêmes fauteuils s’y pavanent, les mêmes luminaires s’y balancent, une même ambiance de patient désœuvrement y règne. Qu’il s’agisse d’un consortium d’avocats ou du siège d’une banque d’affaires, la livraison est la même, du standardisé chic décontracté. Exit tous les symboles qui faisaient, qu’hier, un individu moyen distinguait une compagnie d’assurances d’un Hilton. Désormais, tout se ressemble et ceux qui condamnaient le style international avec ses murs-rideaux d’aluminium brossé accouchent de son rejeton, un boudoir aux tons grèges et moquettes émollientes. Déjà, l’éradication de tout signe de violence dans le tribunal de grande instance édifié par Renzo Piano, porte de Clichy, augurait de cette glissade vers une bienveillante neutralité. La bienveillance étant, dit-on, la nouvelle panacée du management, il importe de ne point choquer et de transformer les lieux où s’exerçait hier le pouvoir en cocon lénifiant. Quand les salariés veulent se sentir au bureau « comme à la maison », les cadres veulent se sentir « comme à l’hôtel ».
Il est vrai que récemment, la justice a qualifié d’accident du travail la crise cardiaque d’un dirigeant en mission, survenue alors qu’il pratiquait la toupie de Bornéo, dans sa chambre d’hôtel, avec une professionnelle. Dans ces conditions, l’hôtellerie a du bon mais la vague inquiète par son écume. Avec son mobilier vintage, ses salons de relaxation zen, ses espaces consacrés à la détente et au farniente « inspirant », mot du jour qui ne tardera pas à se dégonfler telle une baudruche enflée des miasmes de tous les room-services, la dictature du Big Brother est en passe de céder devant la nouvelle coercition de la Big Mother. On ne s’étonnera pas que dans ces antichambres d’entreprises où le coma cool est tendance, les salariés frétillants se fassent des hugs à tire-larigot, fous de joie de faire partie de ces entreprises où le salarié, éternel ado, « joue au travail ». Vraiment ? À défaut de nous prendre pour des cons, nous prendrait-on pour des « comme » ?
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Retrouvez le Quid de Philippe Trétiack dans le numéro 433 de AA – Logement social, une exception française ? – disponible sur notre boutique en ligne.