Concours Bas Carbone : De la cathédrale carbone au bocage urbain
Cette semaine, c’est au tour des architectes de l’agence Explorations Architecture, parmi les quatre groupes finalistes, de répondre à nos questions au sujet de leur projet « Cathédrale Carbone » imaginée sur le site de la Jallère, au nord de Bordeaux. Et dès la semaine prochaine, ne manquez pas les réponses des architectes de l’agence AAVP qui nous parlent de leur projet « Axionomia ou la mutation heureuse ».
AA : Avez-vous déjà participé au concours ?
Explorations Architecture : Non, c’est la première fois que nous y participons.
Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à y participer ?
Le caractère prospectif du concours qui permet de sortir du cadre normatif actuel, la possibilité de travailler sur des scenarios radicaux qui reflètent les projections optimistes ou pessimistes concernant le devenir de la planète, et la thématique paysagère proposée cette année.
Quel regard portez-vous sur le programme sur lequel vous avez prévu de travailler ?
Le caractère utopique du concours nous a en fin de compte poussé vers un certain réalisme.
Quelle a été votre approche pour répondre à la question posée par EDF : « Peut-on construire une ville neutre en carbone » ?
Notre projet s’est construit autour d’une réflexion sur le tissu péri-urbain, son caractère, sa densité, sa fonctionnalité et son rapport à la Nature. Nous avons appréhendé le site de la Caisse des Dépôts et Consignations de Bordeaux Nord comme une véritable ressource. Cette notion recouvre à la fois les bâtiments existants, les sols et le sous-sol, le végétal et l’animal, l’eau et les infrastructures etc. Chacun de ces éléments est mis à profit de manière détournée ou innovante pour engager un mécanisme de compensation carbone sur le long terme.
Pouvez-vous nous résumer en quelques phrases votre idée de récit pour la ville et le territoire de 2050 ?
La parcelle de la Caisse des Dépôts et Consignations constitue l’îlot fondateur d’un projet qui offrira en 2050 un nouveau paysage entre ville et campagne, un mode de vie plus vertueux et une neutralité carbone. À l’instar des chantiers de cathédrales du moyen-âge, le projet s’inscrit dans un temps fondamentalement long. C’est une aventure humaine et un chantier-école qui se racontent en 5 époques et 5 lieux :
Automne 2020 / La cathédrale carbone
Le sol et les bâtiments existants sont la matière première du projet. Le terrain est remodelé pour retrouver une fertilité. Les bâtiments sont déconstruits méthodiquement ; tous les matériaux sont stockés pour un réemploi progressif. Les structures en béton sont découpées et ‘scarifiées’ pour constituer une nouvelle forme de puits carbone. Par un processus appelé carbonatation, le CO2 atmosphérique est progressivement piégé dans la matière même du béton, diminuant ainsi l’effet de serre.
Été 2025 / L’anneau
Un anneau se constitue petit à petit en périphérie du site. Il est construit avec les matériaux issus de la déconstruction sous la forme d’une structure ‘patchwork’ décollée du sol. L’anneau est un lieu de vie et d’échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la parcelle. L’impact carbone des transports locaux est réduit grâce à des solutions ‘rustiques’ qui sont redécouvertes (cheval, tram market) mais aussi des équipements autonomes (drones, voitures etc).
Hiver 2030 / Le toit public
Les changements climatiques façonnent de nouveaux usages. Décollés du sol, les logements, les équipements ainsi que l’espace public sur le toit de l’anneau échappent aux crues majeures de la Garonne. Le toit devient un nouvel espace du vivre ensemble. Déplacements, activités économiques ou occupation temporaire par des réfugiés rythment la vie de ce lieu suspendu entre ciel et terre.
Printemps 2035 / L’agroforesterie
La Nature ne constitue plus un ‘sanctuaire’. Elle est désormais la ressource essentielle d’une société bas carbone. Le projet fait appel à des technologies de pointe (collecte big data, mini drones) mais aussi à des méthodes ancestrales (agroforesterie) pour produire de la nourriture saine en circuit court. Forêts, vergers et pâturages remplacent les espaces inertes du périurbain actuel. Des tours totem sont construites par l’empilement des poteaux carbonatés des anciens bâtiments. Elles jouent un rôle important dans la production d’énergie renouvelable, la gestion de l’eau et une biodiversité amplifiée.
2050 / Le bocage urbain
Le projet est devenu un bocage urbain en s’étendant petit à petit aux îlots adjacents et à celui de la CDC. Le morceau de territoire ainsi recomposé constitue un exemple à la fois contextuel et générique de transition entre ville dense et campagne. À l’instar des haies dans un bocage traditionnel, le bâti vient ceinturer, protéger et activer des espaces agricoles ou naturels en cœur d’îlot. La connexion physique de tous les cœurs d’ilots, via des bâtiments sur pilotis, crée un parc agricole majeur. Lieu de production et de déambulation, c’est un nouveau poumon de la métropole.
Quelles ont été les méthodes que vous avez adoptées pour l’organisation d’un travail collaboratif ?
La complexité inhérente au projet urbain s’est trouvée accentuée par le fait que les hypothèses de compensation carbone restent très difficiles à appréhender et à partager, même pour des professionnels. Il faut ajouter à cela que l’horizon de réalisation du projet (au-delà de 2050) dépasse toutes les habitudes et les projections ‘raisonnables’ auxquelles les architectes, urbanistes, ingénieurs ou paysagistes sont habitués. Il s’agit bel et bien d’inventer un futur, ou plutôt des futurs. La méthode de travail que nous avons mise en place au sein de l’équipe a donc consisté à ‘se raconter des histoires’ et à voir comment ces histoires pouvaient ou non se croiser, que ce soit thématiquement ou chronologiquement. Nous avons adopté une méthode inhabituelle de restitution du ‘récit’ du projet. Comme dans le film Rashômon de Kurosawa, chaque membre de l’équipe a été invité à revêtir un costume et à raconter ‘sa’ version du projet depuis une époque donnée (aujourd’hui, l’année prochaine, dans 20 ou 40 ans). Cette méthode a inévitablement conduit à des contradictions dans le récit que nous n’avons pas cherché à résorber car elles symbolisent l’étendue des possibles.
Quelles sont les caractéristiques essentielles à prendre en compte pour la réduction des émissions carbones en architecture ?
La réduction des émissions carbone dépasse largement le domaine de l’architecture. Il s’agit d’engager une réflexion sur nos modes de vie : sur la manière de se déplacer, de se nourrir, de réagir aux aléas sociaux et climatiques etc. Les positionnements que nous avons mis en avant dans notre projet sont une certaine frugalité dans le rapport au monde et un grand pragmatisme dans l’utilisation des moyens disponibles, qu’ils soient archaïques ou ultra sophistiqués.
L’environnement dans lequel nous vivons est interconnecté et le deviendra encore plus dans les années qui viennent. En 2050, les bordelais utiliseront à la fois des Iphone 18 pour communiquer, un ‘tram market’ pour consommer en circuit court et des chevaux pour se déplacer localement. L’environnement dans lequel nous vivons est aussi appelé à devenir plus intégré avec une Nature à fois plus brutale (aléas climatiques en hausse) mais aussi mieux comprise et mieux exploitée grâce au big data (agroforesterie, énergies renouvelables).
Qu’est-ce qui, à votre avis, a pu vous distinguer des autres concurrents ?
Notre projet raconte une véritable histoire. Nous pensons que notre récit d’une vie péri-urbaine décarbonée est à la fois très radical dans sa philosophie et très réaliste dans son modus operandi. La mise en œuvre du projet pourrait démarrer dès demain puisque nous avons réfléchi au financement du projet dans une logique collaborative entre la CDC, EDF et Bordeaux Métropole.
Nom du projet : Bocage de la cathédrale carbone au bocage urbain
Architectes : EXPLORATIONS Architecture
Paysagiste : Marti-Baron
Environnement / énergie / carbone : Atelier climatique
Urbanisme : Grue
Design : Grégory Lacoua
Expérimentation / réemploi : Bellastock
Ecologie : Biodiversita