Architecture

Concours Bas Carbone : Palun 15%. Paysages, énergies, humanités en 2050

« Palun » est un terme méridional qui désigne le marais et qui correspond à la zone de l’estuaire qui s’étend au nord de Bordeaux, de la Garonne jusqu’à Saint-Médard-en-Jalles. Dans le cadre du Concours Bas Carbone, ce territoire – mêlant zones rurales et urbaines – est imaginé par les équipes Atelier Fuso, HAME et BOM Architecture comme un lieu de convergence où se logent diverses initiatives qui organisent la circularité et le partage. AA s’est entretenu avec les architectes de l’Atelier Fuso afin d’en savoir plus sur leur projet.

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Carte © Chambre Verte

L’Architecture d’Aujourd’hui : Avez-vous déjà participé au concours ?

Ce concours est une première pour l’ensemble de l’équipe. Cependant, certains d’entre nous ont déjà participé à des études prospectives comme « adaptable future », «Ile-de-france 2030 », etc.

Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à y participer ?

Le concours EDF Bas Carbone est une occasion rare pour des professionnels de la maîtrise d’œuvre de développer des réflexions sur la ville et l’architecture bas carbone, et plus globalement sur les grands enjeux de demain hors des contraintes réglementaires de nos professions. Chacun l’a vécu comme un temps à part et l’opportunité d’approfondir des questions que nous ne faisons qu’effleurer dans les projets directement opérationnels. De plus, il était intéressant de comprendre la vision d’un groupe tel que EDF et d’engager des échanges sur des sujets aussi vastes que la solidarité territoriale, la qualité de la desserte énergétique et sa signification sociale, la manière dont les citoyens ou les entreprises pourraient améliorer la situation actuelle, etc.

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Axonométrie © Chambre Verte

En quoi consiste votre projet?

Par plusieurs média – dessins, fables, lexique – le projet « Palun 15%. Paysages, énergies, humanités en 2050 » fonde un imaginaire alternant entre rêves et réalités plausibles, inspirées par les dernières recherches scientifiques et techniques.

Pour penser l’avenir, nous proposons d’ériger biodiversité, légèreté et poésie des énergies naturelles en valeurs essentielles, capables de porter l’identité du quartier la Jallère à Bordeaux et par là, le devenir de la métropole bordelaise. Pour cela, nous avons imaginé la métamorphose progressive d’un vaste territoire nommé « Palun », en référence aux anciens marais et aux paysages humides de l’estuaire de la Garonne. Un territoire-laboratoire, porteur d’espoir et d’opportunités liés à son histoire maraîchère et ses qualités naturelles, mais aussi symbole des excès de la planification carbonée : rocade, grands équipements monofonctionnels, problématiques écologiques sensibles, etc.

Nous n’apportons pas une réponse unique ou simplificatrice. Palun 15 % s’édifie progressivement en associant les acteurs du territoire à travers un grand programme qui s’étend du port de Bordeaux jusqu’à Saint-Médard-en-Jalles. Il s’agit de concilier les contraires autour d’innovations ambitieuses : émergence d’une nouvelle économie, nouvelle façon de concevoir la logistique, nouveaux métiers essentiels, machines créatives et matériaux inventés, issus d’ancrages géographiques fondamentaux comme l’inertie, la ventilation ou le climat. En imaginant 2050, nous ne souhaitions pas faire un grand geste ni une démonstration scientifique ou divinatoire. Au contraire, le projet ouvre un futur qui autorise expérimentations, réajustements, espaces en attente ou en mouvement.

Le quartier de la Jallère, qui a récemment commencé sa mue, s’inscrit dans ce programme. Son devenir n’est pas linéaire et devient interdépendant de celui du territoire Palun. Le quartier se densifie peu à peu avec de nouveaux îlots climatiques, au rythme de ses nouveaux habitants et amplifie le paysage des jalles, crastes ou esteys. Le sol humide et les bâtiments de bureaux existants forment le point de départ d’un renouveau progressif. Parmi les bâtiments conservés, celui de la Caisse des Dépôts et Consignations, rebaptisé l’EXO, joue un rôle fondamental à toutes les échelles. À la fois « régie du paysage », université du dehors et nouvelle centralité locale, il se constitue au gré du développement d’un programme qui profite des qualités intrinsèques du bâtiment : structure béton, toits terrasses, cour intérieure. Lieu d’expérimentations, d’implantation d’une économie locale, de services mutualisés et de nouvelles formes de gouvernance, l’EXO se veut une réponse « anti-carbone » essentiellement programmatique basée sur l’intelligence humaine et celle de la nature.

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© Chambre Verte

Quelle a été votre approche pour répondre à la question posée par EDF : « Peut-on construire une ville neutre en carbone » ? 

Notre réponse a d’abord consisté à trouver une bonne échelle d’intervention, permettant de questionner nos modes de vie et de fonctionnements tout en ayant également un impact certain sur les grands émetteurs carbone actuels. Véritable lien métropolitain orchestré autour de la vallée de jalles et de son axe structurant, la « Ja-Line », le territoire Palun lance un défi : s’attaquer aux derniers bastions du carbone post-facteur 4, auxquels les 15 % font référence. En dépassant volontairement les limites de la parcelle de la Caisse des Dépôts et Consignations, nous souhaitions souligner que penser la ville bas carbone est un sujet complexe qui déborde des limites classiques pour réinterroger l’ensemble de nos pratiques : la gestion des ressources essentielles, l’agriculture, les grands déplacements, l’exploitation des ressources naturelles, les loisirs, etc.

Cette échelle optimale s’avère essentielle pour traiter les grandes problématiques carbone, porter des rêves et renouveler les pratiques. Basé sur huit grands principes, le programme Palun 15% invente et bouscule l’agriculture, la logistique, l’économie, la construction comme les énergies de demain, en associant les acteurs publics et privés du territoire. L’énergie et les ressources rendues visibles dans le paysage s’enrichissent et s’échangent à l’infini par l’intermédiaire de marqueurs, favorisant le développement du quartier selon un principe d’autonomie vertueuse, amplifiant à la fois la conscience et la résilience du quartier, la solidarité extérieure et la sobriété des macro-réseaux nationaux.

Pour envisager une ville neutre en carbone il faut simultanément croître et décroître, consommer différemment, se passer de ressources en voie d’épuisement, etc. La ville contemporaine crée des aberrations auxquelles il faut remédier : bureaux vacants, structures non recyclables, explosion des mobilités de loisirs dans certaines métropoles… Les réponses technologiques type smart cities, bien que performantes, ne suffiront pas si l’on n’étudie pas l’ensemble d’un territoire et si l’ensemble des acteurs de la ville, habitants, entreprises, acteurs sociaux ne sont pas associés.

À l’instar des démarches type « villes en transition », il faut redonner la possibilité à la société de s’emparer des villes et d’établir des processus d’auto gouvernance et aux individus de développer leur subjectivité, y compris dans les métropoles complexes ou les tissus pavillonnaires.

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Axonométrie © Chambre Verte

Pouvez-vous nous résumer en quelques phrases votre idée de récit pour la ville et le territoire de 2050 ?

Le projet propose huit grands principes pour le territoire Palun : conforter la géographie, ériger l’eau et les sols en bien commun, lire le panorama des énergies et des circularités inventives, enchanter les « services métropolitains » et les mobilités, expérimenter une nouvelle économie autour de l’intelligence du vivant, créer une appellation pour renforcer le local, mutualiser et solidariser tous azimuts, autoriser l’autonomie temporaire comme la déconnection solidaire.

Ces grands principes forment un point de départ pour imaginer un monde plus sobre mais aussi, nous l’espérons, plus imaginatif, plus ancré et poétique. Pour mieux comprendre cette société imaginée pour 2050, nous vous invitons à lire le recueil des « Fables de la Jallère ».

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Chambre verte clairière

Quelles ont été les méthodes que vous avez adoptées pour l’organisation d’un travail collaboratif ?

L’équipe s’est d’abord constituée autour de trois agences d’architectes et urbanistes, rapidement renforcée par l’arrivée d’ingénieurs, paysagistes, auteur, graphiste et artistes.

Dans une première phase, relativement longue, nous avons procédé à une mise à niveau de l’ensemble de l’équipe. Chacun partageait ses connaissances, de manière large. Les ingénieurs, en particulier, ont été sollicités pour aider l’équipe à encadrer les grandes problématiques liées au carbone et à construire des grandes hypothèses de calcul : l’évolution de la température ou de la pluviométrie, les possibilités d’évolutions des modes d’énergie, etc. Ce moment a été riche en lectures d’essayistes, philosophes, biologistes, urbanistes, écologues ou artistes. Nous avons écrit et collecté des dizaines de résumés de livres, films, documentaires ou entretiens. Cette riche matière constitue une ressource importante pour nos projets futurs.

Au début, les réunions pouvaient rassembler jusqu’à une vingtaine de personnes. Nous avons alors constitué un noyau plus resserré de quatre ou cinq personnes, chargées de la cohérence du projet, avec deux référents principaux. Les échanges informels étaient fréquents, la mise en place de workshops hebdomadaires a permis de les intégrer à la réflexion globale. Il a fallu trouver des méthodes pour se coordonner à distance et parfois dans des langues différentes. Nos échanges sont restés très libres et nous pensons aujourd’hui que le projet traduit bien la richesse des sensibilités des membres de l’équipe.

Nous avons fonctionné par mots-clefs pour mieux cerner le sujet et faire émerger des consensus ou les idées les plus récurrentes. Plus que de démontrer nous voulions suggérer un avenir par touches, à travers différents supports et points de vue. Le plus complexe n’était pas forcement lié à la difficulté des calculs techniques ou au projet architectural mais de trouver le juste ton pour parler d’une société en 2050. Avec le recul, c’est un exercice stimulant, presque thérapeutique, qui nous a demandé de faire régulièrement appel à nos expériences personnelles et professionnelles.

Concernant les éléments graphiques, nous avons eu très vite l’idée d’un graphisme assez léger et aérien, assemblant le trait à la main et informatique et des éléments photoréalistes avec une présence assez forte laissée au paysages, aux usages ou aux énergies. L’harmonisation des différentes esthétiques s’est faite par la mise en place d’une charte couleur et de test de référence. Compléter notre rendu par des fables et un lexique était une façon ludique et didactique de permettre à chacun de comprendre notre projet.

Chambre verte, axonométrie
Axonométrie © Chambre Verte

Quelles sont les caractéristiques essentielles à prendre en compte pour la réduction des émissions carbones en architecture ?

Il est possible d’agir sur la réduction du bilan carbone sur l’ensemble de la chaîne de la construction depuis le choix et la production de matériaux jusqu’à la fin de vie du bâtiment en passant par le chantier. À travers Palun 15 %, nous avons mis l’accent sur de nouvelles associations entre low et high-tech, basées sur l’intelligence du vivant. Des solutions qui se veulent appropriables mais aussi désirable : micro climats, bulles à condensation, structures ultra-légères ou à fortes inerties, etc.

Ces solutions ne doivent pas être vues comme des recettes déconnectées du reste de la ville. L’architecture a été considérée par l’équipe comme l’un des fragments de notre cadre de vie. Le lexique, que nous avons travaillé à plusieurs mains, est une fenêtre ouverte sur des possibilités nouvelles qui vont dans ce sens. Ce nouveau « vocabulaire » pour fabriquer la ville peut être lu séparément ou pris dans son ensemble, il tente de dessiner une nouvelle société.

Qu’est-ce qui, à votre avis, a pu vous distinguer des autres concurrents ?

Nous avons essayé d’apporter une réponse large, enthousiasmante mais très sérieuse, sur un sujet particulièrement sensible et complexe. L’équipe est relativement jeune, nous souhaitions conserver un regard optimiste, onirique voire humoristique. Nous assumons le caractère parfois foisonnant de notre proposition. Notre réponse n’est pas formelle, elle n’est pas basée sur une énième tentative de créer une ville parfaite, à grands renforts technologiques ou de végétalisation. Nous pensons qu’elle laisse ainsi la place à l’échange et au développement de projets avec les acteurs locaux. Enfin, plusieurs membres de l’équipe ont une connaissance très fine du territoire bordelais, nous espérons que cela se ressent.

Brochure Fables © Chambre Verte
Brochure Fables © Chambre Verte
Nom du projetPALUN 15% ; paysages, énergies, humanités en 2050.
Architectes/ Urbanistes: BOM architecture, HAME et Atelier FUSO
Paysagiste: LS2 paysage
Ing. en mobilité durable, transition énergétique et cadre de vie: Carine Dunogier (Ingérop)
Ing. en énergie, bilan carbone et cycle de vie: ECIC
Conseil en paysage et adaptation climatique: Atelier Colin & Poli paysage
Graphisme: Jean-Philippe Bertin
Illustrations: In prozess
Ecriture: Fanny Léglise

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