Confiné.e.s : Dietrich Untertrifaller Architectes
Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles. Aujourd’hui les réponses d’Anne Mochel, architecte, ingénieure en génie civil et urbaniste, directrice de l’agence franco-autrichienne Dietrich Untertrifaller Architectes.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Où et comment êtes‐vous confinée ?
Anne Mochel : En famille, confinée à Paris, avec mon mari et nos 2 enfants en bas âge, scolarisés en CP et CM1.
À l’agence, nous avons immédiatement installé les équipes en télétravail et avons permis aux parents d’enfant(s) en bas âge qui en avaient besoin, de prendre le temps nécessaire pour la nouvelle organisation familiale.
Cela a été un changement de rythme radical, pour moi qui voyageais énormément professionnellement. Les débuts ont été épuisants, mais c’était bien évidement plus qu’une « garde d’enfants Covid-19 », l’occasion de rattraper un peu du temps passé loin d’eux, de les rassurer dans cette période anxiogène et de leur assurer la continuité pédagogique, n’étant à cet âge-là ni autonomes à l’auto-enseignement, ni même à l’utilisation de l’interface numériques ENT de l’éducation nationale.
Comment êtes‐vous organisée pour poursuivre votre activité ?
Nous sommes une agence internationale et de ce fait le télétravail n’est pas vraiment une nouveauté. Nous fonctionnons déjà ainsi depuis 4 ans entre nos agences autrichiennes, suisse et allemande et notre agence parisienne. En conception comme en développement de projets, profitant d’un grand nombre des outils numériques existants à cet effet.
Nous développons par exemple en ce moment depuis Paris un projet luxembourgeois sur le site de Belval, à Esch sur Alzette pour Perrard une filiale luxembourgeoise d’Eiffage Immobilier avec des intervenants belges, luxembourgeois, allemands, autrichiens et français, tous confinés. Et cela se passe très bien. Nous rendons un concours pour un lycée à Mayotte, et sommes en contact étroit avec nos partenaires locaux qui redoutent plus la dengue en ce moment que le coronavirus pourtant bien présent également. Ils sont bien plus mis à l’épreuve que nous en cette période …
Cependant ce mode de travail à distance comporte évidement son lot de difficultés, même en interne, que nous devons lever au quotidien, notamment celui de la communication. Via les écrans interposés, autant de sources de malentendus, de tensions, d’intrusions … L’absence de repères qui peut mener à des horaires de travail trop élargis.
Des pièges qu’il nous faut éviter et réinventer de nouveaux modes pour « travailler ensemble, chacun chez soi ».
Confinement et architecture sont‐ils antinomiques ?
Le propre de l’architecte est sa proximité du terrain, de son équipe, de son chantier donc cela n’est évidemment pas idéal d’en être séparé physiquement à long terme.
Pour autant, c’est une excellente façon de vivre les nouveaux besoins et les changements qui s’imposeront à l’architecture.
Le logement deviendra autrement plurifonctionnel, comment le redessiner si vous n’en avez pas vous-même fait l’expérience ? Comment dormir, travailler, enseigner, cuisiner, manger, s’aimer, respirer, méditer, prier, jouer de la musique, faire du sport, se divertir, bref vivre même confiné dans un même espace sous un même toi(t) ?
Il en va de même pour la conception des établissements scolaires. Nos classes d’écoles parisiennes trop petites, trop peuplées, leurs couloirs et cours de récréation sombres, non ventilées et exigües, ce patrimoine scolaire que nous devons en urgence réadapter. Au-delà de Paris, cela est vrai pour bon nombre de villes françaises. Au Nord de l’Europe, les écoles sont déjà conçues différemment. Nous avons toujours plaisir à faire visiter notre école de Klaus (Vorarlberg, Autriche) qui était la première école passive d’Europe en 2003. Mais sommes-nous prêts en France à réellement repenser notre espace et notre système éducatif ?
Le confinement peut être pleinement bénéfique à la conception architecturale, et donc à l’architecture, de par l’introspection qu’il provoque, le temps de la réflexion et de l’établissement de nouvelles priorités qu’il nous offre.
Quelles leçons pensez‐vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
D’un côté, de prendre le temps, « slow down », l’éloge du ralentissement.
Le printemps est redevenu un printemps, permettre à nos 5 sens de le vivre pleinement, réentendre le chant des oiseaux, observer les arbres en fleurs, les potagers germer, les nuages dans le ciel, humer les plantes fleurir, sentir la chaleur berçante des premiers rayons de soleil sur nos peaux, savourer des petits plats maison préparés avec amour et des produits frais et sains.
Et ceci même en pleine capitale européenne au plus rouge de la carte des couleurs, mais en l’absence d’odeur de gaz d’échappement, d’avions dans le ciel, de restauration rapide et de bruits de circulation.
Et de l’autre, me dire qu’à Paris le chant des oiseaux au prix des sirènes d’ambulances c’est quand même cher payé…
Un film à voir, un livre à lire pendant le confinement ?
Nausicaä de la Vallée du Vent de Hayao Miyazaki. En Livre ou en Film.
Comme beaucoup d’entre nous, je connaissais Le Voyage de Chihiro, Le château ambulant et comment en tant qu’architecte être insensible à l’immense talent et aux dessins sublimissimes de ses villes perchées, la nature et la profondeur de ses messages. Mais avec Nausicaä, j’ai découvert le visionnaire en lui.
Miyazaki l’a dessiné en 1984, cela fait bientôt 40 ans. Cette œuvre documente à sa façon notre actualité, avec ses personnages portant le masque pour se protéger d’un fléau dont ils se savent responsables … La forêt toxique, les eaux souillées et les guerres destructrices qui risquent de s’étendre ; les pires conséquences écologiques …
Hayao Miyazaki redonne ensuite espoir par le biais de la nouvelle génération, militante, sensible, pacifiste et souvent guidée par des petites héroïnes (pas anodin quand on réalise qu’aujourd’hui les pays qui naviguent le mieux dans les méandres de ce virus sont dirigés par des femmes…).
Un chef d’œuvre qui m’a beaucoup touchée et un artiste dont l’ensemble des œuvres mérite plus que jamais toute notre attention.
Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Le temps passé sur les écrans étant déjà considérable, j’ai préféré nous réfugier dans un petit carnet en papier recyclé, qui a enrichi notre quotidien tout au long de ces dernières semaines et que j’ai grand plaisir à recommander pour les grands et les petits : Faites Pousser vos noyaux !, de Holly Farrel paru aux Editions Larousse.
Excellent ouvrage pour un citadin confiné. Nous avons fait pousser 120 noyaux et pépins qui ont quasiment tous germés. D’abord des amandes de manguier, des pépins de citron, de pamplemousse, de kiwi, fruits de la passion mais aussi différentes variétés de tomates, de poivrons, potimarron, courge butternut, fraises, … Puis lorsque le terreau nous a fait défaut, des poireaux, navets, échalotes, frisée grâce à la technique de reproduction végétative (uniquement dans le l’eau).
Simplement à partir de ce que l’on a chez soi et que l’on vient de manger. Une merveilleuse leçon de recyclage en plus.
La cuisine s’est du coup, un peu transformée en mini laboratoire, et ses espaces vitrés en serre potagère.
Chaque nouvelle petite pousse découverte le matin a apporté son lot de joie dans la famille, un sens de responsabilité et de fierté pour les petits. Une petite renaissance.
Pris en photo et partagé avec les voisins de l’immeuble, proches, en échangeant des astuces qui ont permis les petits succès ou une demande de conseil aux plus expérimentés pour s’améliorer, des liens « sociaux », qui sont venus prolonger les rituels de remerciement aux personnes œuvrant au péril de leur vie pour nous en cette période. L’école de la nature, du partage, de la patience et de la reconnaissance. Un « slow », ralentissement gagnant.
Qu’espérez‐vous de cette expérience ?
Que le « SLOW » l’emporte réellement sur le « FAST ».
Beaucoup d’entre nous écrivent ces jours-ci aspirer à un monde meilleur, en utilisant de belles formulations, tout en s’empressant actuellement de produire encore plus, d’être encore plus performants, encore plus organisés, encore plus connectés mais connectés à quoi ?
J’espère, ne pas glisser moi -même dans la précipitation de la « grande reprise », pouvoir garder ce petit recul et le ralentissement qui l’a permis, en retrouvant à la sortie des amis, proches, collègues, consœurs et confrères, clients, dirigeants dans le même cheminement et qui m’aideront à y rester.
Quel impact a ce confinement sur la perception de votre espace de travail et, inversement, de votre espace domestique ?
Comme je voyageais beaucoup, mon espace de travail n’était pas strictement lié aux locaux de l’agence. Il y avait les trains, les avions, les cafés, les restaurants, les chambres d’hôtels et entre deux je télé-travaillais depuis mon domicile déjà avant le confinement. La différence pour moi avec le confinement, c’est, à présent, justement cette sédentarisation du travail. Ce qui impacte l’espace domestique, c’est la pluridisciplinarité qui nous incombe, parents de jeunes enfants scolarisés, avec l’école à la maison, les courses à effectuer, les nombreux repas à cuisiner, servir, etc.
Du coup, j’ai établi mon bureau dans un petit coin d’une chambre juste à côté de la pièce principale qui est à la fois la cuisine , la salle à manger, l’école, le living room, la salle de musique et de sport.
Mais avec une petite porte que je peux fermer, pour être tranquille en visio, audio et également en solo, pouvoir me concentrer et m’isoler quand j’en ai besoin.
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