Villa M, hôtel multi-usage, Paris, 2019.
Villa M, hôtel multi-usage, Paris, 2019.

Confiné·es

Confiné.e.s : Triptyque

Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles. Aujourd’hui, les réponses Guillaume Sibaud et Olivier Raffaëlli, architectes associés de l’agence Triptyque.

Guillaume Sibaud et Olivier Raffaëllii (©Thomas Smith)
Guillaume Sibaud et Olivier Raffaëlli (©Thomas Smith)

L’Architecture d’Aujourd’hui : Où êtes-vous confinés et comment vous êtes-vous organisés pour poursuivre votre activité ?
Guillaume Sibaud et Olivier Raffaëlli : Nous avons réuni nos deux familles dans un grand appartement en Bretagne. Nous avons recréé une petite école pour les enfants et un coin bureau. Une communauté du bout du monde.
Nous avons divisé notre semaine entre affaires courantes et ateliers thématiques sur des questions de fond. Cela fait des années que nous rêvions d’avoir du temps – nous sommes servis !
Notre pratique étant habituellement divisée entre la France et le Brésil, nous sommes rompus au travail à distance et nous connaissons la rigueur que celui-ci impose. Il faut savoir donner du rythme. Ne jamais se perdre de vue. Il faut humaniser les relations car l’absence de confrontation physique désincarne et mécanise très vite les rapports.

Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
Olivier : Dans le sens étymologique même du mot architecture, il y a ce mouvement entre les principes (archi) et la technique (tecture) ; entre le confinement mental de la conceptualisation et l’épreuve physique de la technique. Le confinement – si celui-ci ne se prolonge pas éternellement – et l’architecture ne sont pas antinomiques. Bien au contraire : architecture et action perpétuelle sont antinomiques.
Guillaume : Cette parenthèse dans le mouvement, qui est le propre de la vie urbaine, est intéressante. Dans ce confinement imposé, nous sommes amenés à mettre à l’épreuve tout notre environnement construit immédiat jusqu’à l’épuiser. La qualité des espaces, leur ergonomie, le rapport au soleil, les vues, les prolongements extérieurs mais aussi la configuration de l’espace urbain, les distances, l’accès à la végétation, etc. De nouveaux paradigmes pourraient voir le jour.

Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
Olivier : Pour un être plein d’espoir, tout ceci pourrait ressembler à une immense répétition ; l’esquisse d’un monde « décarboné » ; « localiste » ; où le superflu ferait place à l’essentiel. Cette crise nous permet en effet d’envisager une autre manière de vivre – la possibilité d’une autre vie. Nous pressentions que cela était possible. Nous expérimentons réellement une voie alternative.
Je suis pourtant pessimiste sur notre capacité à retenir durablement une leçon de cette expérience. Nous avons vu trop de crises écologiques, sociales ou/et politiques au Brésil sans lendemain radicalement différent : l’ivrogne ne jure-t-il pas à chaque réveil qu’il ne boira plus jamais ? Pourtant l’heure venue, il boit.
Guillaume : Cette crise pose la question de la relativité du principe de précaution et son assujettissement au politique qui, lui-même, est un miroir de l’opinion publique. Les enjeux climatiques dont nous subissons déjà les signes annonciateurs (pollution de l’air, canicules, inondations, manque d’eau, etc.) ont toujours échappé à ce principe. Il faut souhaiter que le véritable changement se situe à ce niveau, celui d’une prise de conscience ferme, éclairée et non punitive.

Un film à voir / un livre à lire pendant le confinement ?
Olivier : Le chef d’œuvre de José Saramago, L’Aveuglement. Une épidémie frappe le monde et l’humanité devient aveugle. L’anarchie succède très rapidement à la quarantaine. Un livre de saison pourrait-on dire.
C’est aussi un bon moment pour revoir l’incroyable film Malevil avec Jean-Louis Trintignant et Michel Serrault : après une catastrophe nucléaire planétaire, quelques survivants reconstruisent le monde. Pas mal non plus.
Guillaume : Un livre, Mémoires d’un architecte de Fernand Pouillon. Grandeur et décadence d’un architecte d’un autre temps, de l’ancien temps pourrait-on dire. Un film, La Folie des grandeurs, avec ses enfants et – le cas échéant – son épouse brésilienne, pour le plaisir de partager ces beaux souvenirs.

Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Olivier : Oui, le compte Instagram de notre association AOCA animé par Sandra Soares et Carolina Bertoni. Celle-ci a pour objet la promotion des échanges culturels franco-brésiliens et plus particulièrement des échanges avec les indiens d’Amazonie. La situation de ces derniers va gravement s’empirer dans les mois à venir. Leur situation était dramatique dans le monde « avant Covid-19 » ; je n’ose imaginer demain.
Guillaume : @oscarniemeyerwork, un compte Instagram présentant les réalisations de l’architecte.

Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Olivier : Je doute que tout reprenne comme si rien ne s’était passé. Ce serait merveilleux que nous retirerions de cette expérience une véritable capacité d’évoluer vers une civilisation plus durable, plus solidaire et humaine. Il va falloir néanmoins se préparer à lutter contre de nombreux démons ; nous craignons tous une grave crise sociale accompagnée d’un repli identitaire et nationaliste.
Le principe de précaution et la surnormalisation du monde pourraient prendre définitivement le dessus sur l’art et la prise de risque artistique.
La relation à la densité urbaine pourrait aussi évoluer : le modèle périurbain, profondément anti-écologique, pourrait retrouver un nouveau souffle. L’avenir nous promet des combats épiques.
Guillaume : Je vis un moment contradictoire où une partie de mon être milite pour un retour rapide « à la normale » tandis qu’une autre appelle la prolongation du confinement sur le temps long, propice à l’émergence d’un renouveau. Il faut se souvenir que c’est dans les – longues – heures sombres de l’occupation que le Conseil national de la Résistance a conçu les fondements de la société française que nous connaissons aujourd’hui. Nous avons besoin d’un second souffle, prenons le temps d’écrire cette nouvelle histoire.

Quel impact ce confinement a sur la perception de votre espace de travail et, inversement, sur votre espace domestique ?
Olivier : Je me rends compte tous les jours de ce confinement combien j’aime m’asseoir à une terrasse de café mais aussi à une table de réunion ; combien j’aime me mélanger aux autres, me laisser « contaminer » pour reprendre un terme d’actualité. Tout cela me manque beaucoup.
Guillaume : Le confinement est l’occasion de tester tous nos fantasmes de télétravail, le travail dématérialisé envahit l’espace domestique, avec heurts et fracas. On pourrait en venir à désirer un confinement dans le confinement et dans le même mouvement l’abolition des limites. Beaucoup de choses manquent dans cette réduction du champ des possibles : l’isolement silencieux du monastère et la clameur d’un stade de foot, le calme d’un grand atelier et l’ivresse de la fête.

L'agence Triptyque en télétravail.
L’agence Triptyque en télétravail.

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Le site de l’agence Triptyque.
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