Confinée.e.s : Manuelle Gautrand
Face au confinement imposé à tous pour contrer la propagation du virus Covid-19, nombre d’architectes ont dû adapter leur pratique et leur méthode de travail à ce nouveau rythme de vie. La série « Confiné.e.s » leur donne la parole, en interrogeant leur vision de la situation — mais aussi leurs recommandations culturelles.
Aujourd’hui, les réponses de l’architecte française Manuelle Gautrand. En 2019, elle livrait, avec son agence, l’hôtel Le Belaroïa à Montpellier.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Où êtes-vous confinée et comment vous êtes-vous organisée pour poursuivre votre activité ?
Manuelle Gautrand : Je me suis confinée… dans mon agence. Avec Marc Blaising, mon associé, avec qui je vis en couple dans la vie, nous naviguons donc entre notre domicile, la nuit, et notre agence le jour (sans croiser personne, je vous rassure). Heureusement, les deux ne sont pas loin l’un de l’autre et pour les rejoindre, dans un sens puis dans l’autre, nous marchons à grandes enjambées, un masque sur la bouche, en changeant de trottoir à chaque fois que l’on croise une âme errante – et pestiférée – , dans Paris désert. À part nous deux l’agence est vide… Tous nos collaborateurs sont chez eux. Nous « gardons la maison » en quelque sorte, répondons au téléphone (en essayant de « dompter » le standard téléphonique), et maîtrisons à la perfection Skype, Zoom, Teams et autres VPN ou Teamviewer… Plus sérieusement, pour que nos collaborateurs puissent travailler efficacement chez eux en télétravail, il faut coordonner les équipes, s’occuper du bon fonctionnement de l’infrastructure informatique, etc. Et puis il faut anticiper : je profite de ces moments pour dessiner, écrire, faire des maquettes, prendre de l’avance su les projets qui redémarreront, je l’espère, un jour. J’en profite pour aller en profondeur dans ces projets, mais aussi en imaginer d’autres, rêver beaucoup !
Confinement et architecture sont-ils antinomiques ?
Oui, oui et oui.
L’architecture est une discipline qui se partage, du début des études jusqu’à la fin d’un projet et sa réalisation. Le travail se fait en groupe, il s’accompagne de toutes sortes de média (dessins, maquettes, images, écrits, …) que l’on partage et manipule ensemble. Et c’est seulement par la richesse de ces échanges, par leur spontanéité et leur fluidité, qu’un projet peut se faire. C’est un travail éminemment collectif, c’est un peu comme un sport collectif ! Et on ne tient pas un match de foot sur Skype… Aucun télétravail ne peut remplacer ces échanges, ce dialogue, cette explosion d’idées qui se fait toujours dans la spontanéité et la liberté, dans le plaisir d’être physiquement ensemble !
Quelles leçons pensez-vous tirer de l’impact écologique de cette crise ?
Pour moi cette crise aura un impact sanitaire et économique désastreux, mais d’un point de vue écologique, elle peut avoir du bon. On a tous entendu dire que la Chine n’a pas été si peu polluée depuis des années, que les poissons reviennent dans les canaux de Venise dont les eaux sont transparentes… Les oiseaux se font de nouveau entendre à Paris, la consommation d’énergie baisse partout dans le monde, etc… Cela étant dit, une ville vide n’est pas une ville. Même si le silence actuel est appréciable, ce n’est pas pour cela qu’on ne va plus sortir le soir, faire la fête, laisser les enfants crier dans les parcs… Personnellement j’aime profondément la ville, sa densité, son énergie, ses habitants : la solitude me fait fuir, je peux vraiment dire que j’aime la foule et tout ce qui va avec.
Un film à voir, un livre à lire pendant le confinement ?
Malgré cette crise et l’impact dramatique qu’elle a sur l’activité de mon agence, je suis personnellement toujours débordée, je me suis fait une « to do » absolument impressionnante de tout ce que je n’avais pas le temps de faire « avant » (et que je n’aurais à priori jamais le temps de terminer avant la fin de notre confinement !) : je n’ai donc même pas encore eu le temps de lire plus que d’habitude…
Un compte à suivre sur les réseaux sociaux ?
Le soir en regardant le fil des tweets ou d’Instagram, je me dis que certains ont vraiment de l’humour ! Ces petits moments de vie qui tournent la crise en dérision réchauffent le cœur et donnent de l’espoir. « L’humour ne se résigne pas, il défie ».
Qu’espérez-vous de cette expérience ?
Que l’Europe arrive enfin à exister d’un point de vue politique, économique et sanitaire, que l’on arrête de tout faire fabriquer en Chine (pour cela, que l’on fasse renaître un vrai tissu industriel et artisanal), que l’on se rende compte du fait que les épidémies n’appartiennent pas qu’au passé, que l’on arrête de couper le budget de fonctionnement des hôpitaux, et, plus prosaïquement, que la France achète des stocks de masques et autres équipements vitaux.
Et du côté de notre métier, il faut que tous les intervenants du monde de l’immobilier se rendent compte que nous sommes tous dans le même bateau…
Quel impact a ce confinement sur la perception de votre espace de travail et, inversement, de votre espace domestique ?
Que, par rapport à d’autres, j’ai beaucoup de chance…
—
Le site de Manuelle Gautrand Architecture.
—
Poursuivez votre lecture en commandant dès à présent le numéro 435 de L’Architecture d’Aujourd’hui — Matière et Matériaux — disponible sur notre boutique en ligne.