Construire local, entretien avec Atelier Aïno
Fondé en 2016 par Elise Giordano, Charlotte Lovera et Louise Dubois, Atelier Aïno est une agence marseillaise pluridisciplinaire qui mêle architecture et design textile. « Dès le début, nous voulions croiser nos compétences pour introduire l’étude des matériaux au sein des projets d’architecture », souligne Louise Dubois, designer textile. Grâce à un premier chantier pilote en 2017, la jeune agence est lauréate en 2018 des Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes. Leur credo ? « La conservation de l’existant. Chaque lieu possède une histoire et mérite d’être valorisé ». En 2023, à Septèmes-les-Vallons dans les Bouches-du-Rhône, le chantier de réhabilitation de sept immeubles et extension de deux logements leur permet de joindre le geste à la parole. Louise Dubois revient pour AA sur ce projet qui permet de « conserver, réparer et magnifier un patrimoine emblématique ».
Propos recueillis par Eléonor Gras
Pourriez-vous nous raconter les origines du projet ?
Louise Dubois : Le projet a été initié par la commune de Septèmes-les-Vallons, limitrophe de Marseille, qui a racheté des immeubles en très mauvais état, pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains des marchands de sommeil. Elle a ensuite lancé un appel d’offres de maîtrise d’œuvre, en juillet 2020, afin de les réhabiliter. Son but était de créer des logements de qualité pour répondre à la demande croissante, tout en évitant que des bâtiments tombent en ruine. C’est une problématique récurrente dans le sud de la France et il est important que les institutions publiques se saisissent du sujet. C’est pourquoi une opération de communication fait également partie de la commande. Notre équipe, complétée par d’autres professionnels, a été sélectionnée. La livraison du projet, dont le chantier a d’ores et déjà commencé, est prévue pour janvier 2024.
La question du matériau est fondamentale dans vos réflexions. Comment l’avez-vous traitée dans ce cas ?
À Septèmes-les-Vallons, nous avons fait le choix drastique de laisser en place tous les sols existants, même ceux issus de rénovations récentes qui n’étaient pas des plus esthétiques. De même, toutes les menuiseries ont été conservées, qu’elles soient restées en place ou qu’elles aient été entreposées pour un chantier futur. Il est également intéressant de trouver une nouvelle fonction aux éléments non conformes. Par exemple, les fenêtres à simple vitrage sont ainsi devenues des cloisons transparentes intérieures. Il est important, dans ces moments, d’être accompagnés de professionnels ayant de l’expérience dans la réhabilitation (ayant des notions de l’hygrométrie du bâtiment, entre autres).
Par endroit, il est parfois nécessaire d’avoir recours à de nouveaux matériaux. Pour ce projet, nous avons créé des duplex qui nécessitaient de nouveaux escaliers. L’acier a été choisi car, en plus d’être disponible, il peut facilement provenir de zones de recyclage proches. Verni d’une couleur vive, il ajoute une touche contemporaine et se démarque de l’existant dans lequel il s’insère. Nous avons fait le choix de ne pas utiliser le béton, afin de privilégier le bois de la région : le pin d’Alep, revalorisé grâce à aux filières locales. Finalement, l’emploi de matériaux locaux, qu’ils soient in-situ (réemploi) ou des alentours, est un véritable gain de temps dans la durée du chantier.
Une cave viticole accueillant le stock de matériaux. Une ancienne menuiserie. Les rondins de pin d’Alep.
Quelles ont été les opérations de communication menées jusqu’à aujourd’hui, dans le cadre du projet ?
Dans un premier temps, une maison du projet a été créée dans la salle des fêtes communale afin d’installer une exposition accessible à tous expliquant la démarche du projet. Nous avons également eu l’occasion d’organiser des conférences et des visites de chantier ouvertes aux habitants, pour que les travaux soient rendus visibles et expliqués de façon pédagogique. Dans un deuxième temps, nous avons collaboré avec Graines d’Archi, une association dont la volonté est de diffuser l’architecture auprès d’un jeune public. Elle est intervenue auprès de trois écoles de la ville pour sensibiliser les enfants au patrimoine qu’ils ont à portée de main. Enfin, une association de jardiniers travaille avec les habitants pour décider de la gestion d’un des immeubles, un peu à part, qui possède un grand terrain arboré. Ensemble, ils décident de l’entretien et de l’usage du jardin.
Quelles sont les limites auxquelles vous avez été confrontées, dans le cadre de cette démarche « locale » ?
La première qui me vient à l’esprit est une limite culturelle. Les habitants sont les plus difficiles à convaincre : ils ne comprennent pas le but du projet car, selon eux, rien n’est à conserver. Le plus difficile est de les faire changer d’avis. L’autre est une limite due à la main d’œuvre. L’industrialisation de la construction a eu pour conséquence un déficit d’entreprises locales dont le savoir-faire était précieux. Toutefois, avec l’instauration de l’objectif “zéro artificialisation nette des sols” [prévu par le Plan Biodiversité en 2021], il y aura de plus en plus de réhabilitations à réaliser et nous espérons qu’une nouvelle main d’œuvre se formera en conséquence.
Pour en savoir plus sur le travail de l'agence : www.atelier-aino.com