Architecture

Des hommes et des lieux : Yes, we can!

Cette semaine, Coline et Capucine Madelaine rencontrent Okuda-san, un jeune architecte-anthropologue dont la pratique, en dehors des sentiers battus, s’attache à re-créer du lien et du sens à l’échelle locale.

Photos et légendes de Coline et Capucine Madelaine, avec la collaboration de Tatsuro Okuda.

Okuda San
Okuda-san

Tatsuro Okuda (« Okuda-san » selon les formules de politesse japonaises), trente ans, pense, vit et travaille dans un but : rendre intelligibles et résoudre (à son échelle) les paradoxes et « bizarreries » de notre société.

Au lycée, il constate que les personnes qui l’entourent semblent déconnectées des lieux dans lesquels elles évoluent, trop absorbées par le prisme d’internet : pour mettre des mots sur ces phénomènes qui l’intriguent, il décide d’étudier l’anthropologie (à l’université, avec une licence de quatre ans), puis l’architecture (dans une « senmon gakko », école privée en deux ans). Son mémoire de fin d’études porte sur l’inadéquation des « machiyas » et des « minkas » (maisons traditionnelles respectivement liées au commerce et à l’agriculture) avec les manières de vivre et de travailler contemporaines. Il pose déjà les jalons de sa pratique future où  l’architecture et l’anthropologie sont indissociables.

Aujourd’hui, Okuda-san jongle entre un travail d’architecte freelance (son gagne-pain à raison de trois jours par semaine) et de nombreux projets personnels, qui allient entreprenariat, durabilité et lien social.

Rénovation
Rénovation avant/après

Il y a trois ans, Okuda-san a quitté le foyer familial pour s’installer avec Haruka-san, sa compagne. Au Japon, on prend soin de sa famille et le couple a posé ses valises à quelques minutes en voiture de leurs parents, à Takarazuka, dans la banlieue d’Osaka…

Pas question de construire ou d’acheter du neuf : en rénovant, Okuda-san souhaite lutter contre « l’absurdité du marché immobilier japonais » à l’origine des « maisons-catalogue » réalisées avec des matériaux importés et non naturels, quand « 13% du bâti reste inutilisé » et que les ressources locales sont souvent mal exploitées.

Maquette
Maquette

Okuda-san a conçu le projet de rénovation de son logement lui-même. Surtout, il a réalisé la majorité de sa mise en oeuvre, avec quelques amis. Seuls quelques professionnels ont été appelés : un électricien, un plombier et un charpentier (pour le plancher, en partie déposé).

Pour lui, ce processus « d’auto-construction » et d’appropriation de l’habitat est primordial. Au Japon, les séismes fréquents qui détériorent les constructions font qu’ici, « on détruit pour reconstruire presque par réflexe » et que les populations s’attachent peu au bâti. Pour Okuda-san, il est urgent de retrouver un lien affectif entre les usagers et les lieux. 

Saisons
Saisons

Sa maison, Okuda-san l’a donc pensée comme une « maison-témoin », un « portfolio vivant » à l’échelle 1 où il invite à la fois des clients potentiels pour leur montrer « ce dont il est capable », et des amis ou confrères, pour « diffuser » sa vision de l’architecture et, plus largement, son mode de vie. Entre autres événements organisés à cet effet, il tient quatre fois par an les « ichi nichi cafés » (littéralement « café d’un jour »), dont l’atmosphère change avec les saisons. Au travers de sa maison où les plantes prolifèrent, Okuda-san transmet aussi l’idée que l’habitat peut évoluer en harmonie avec son environnement extérieur… Et si la façade de l’ancienne « machiya » s’ouvre autant sur l’extérieur, ce n’est pas simplement pour dégager la vue sur la nature luxuriante, mais aussi pour faire pénétrer la lumière au maximum et prouver que les vieilles maisons ne sont pas vouées à rester sombres !

Corps sain
Corps sain

Ancienne vendeuse de kimonos, Haruka-san porte volontiers l’habit traditionnel japonais quand elle reçoit ou quand elle sort… Si le couple se veut résolument contemporain, Okuda-san et Haruka-san n’en oublient pas pour autant leurs racines. Leur mode de vie s’inspire du « bien-être » japonais et notamment de l’expression « I Syoku Ju », qui n’est pas sans rappeler notre « un esprit sain dans un corps sain » et signifie que les vêtements (« I »), la nourriture (« Syoku ») et la maison (« Ju ») sont des biens précieux dont il faut prendre soin.

Okuda-san et Haruka-san revendiquent une consommation raisonnée, avec des produits dont ils connaissent l’origine. Leur alimentation repose principalement sur des denrées locales, cultivées chez eux ou achetées à leur voisin et aux commerçants du quartier, ils préfèrent les vêtements traditionnels ou chinés aux grandes marques internationales et, dans leur maison, rénovée puis décorée sans rien laisser au hasard, tout est entretenu avec une attention particulière.

6_Détail
Réemploi

Chez Okuda-san, on trouve partout de vieux objets et matériaux achetés dans des brocantes ou récupérés sur des chantiers de démolition (grâce à ses nombreux contacts qui l’informent des bonnes affaires). Ici, une planche en bois devient un petit autel. La mise en scène des rebuts sauvés de l’incinération témoigne de l’attachement du jeune architecte à conférer aux lieux une histoire, petit « supplément d’âme ».

Et ce qu’il fait chez lui, il le propose aussi à ses clients, en les emmenant faire un tour dans sa « caverne d’Ali baba du réemploi », un petit garage qu’il loue à quelques pas de sa maison où il stocke ses matériaux glanés et qu’il transforme souvent en atelier DIY. Chacun est libre d’y choisir ce qui lui plait et de l’intégrer à son projet !

Workshops
Workshops

Avec Okuda-san, les chantiers sont ouverts : pour chacun de ses projets, il organise des workshops où tout le monde est invité à venir mettre la main à la pâte. L’objectif de l’opération est toujours le même : réduire les coûts en économisant sur la main d’oeuvre, créer du lien et une histoire (entre les gens et avec le lieu), mais aussi sensibiliser et, dans une certaine mesure, former. Et comme il obtient tous ses projets par le bouche-à-oreille, ces grandes réunions sont aussi l’occasion de faire un peu de business

Dernier projet où l’architecte a appliqué sa « formule-miracle » : la rénovation d’appartements ne trouvant pas de locataires, pour le compte d’agences immobilières. Tous les frais sont à sa charge, mais si l’appartement est loué, il percevra l’ensemble du loyer durant un an ! Okuda-san joue ici un coup de poker assez caractéristique de sa carrière, marquée par un grain de culot, un instinct certain et, surtout, un engagement permanent !

 

Vous pouvez suivre le voyage de Coline et Capucine sur leur tumblr ainsi que sur leur page Facebook.

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