Écoles d’architecture et profession, de passion à désillusion
En partenariat avec L’Architecture d’Aujourd’hui, l’Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP) prend la plume et propose, en dix articles, d’explorer les enjeux contemporains auxquels sont confrontés les étudiants en architecture et paysage.
Ce deuxième épisode de la série des Carnets de l’UNEAP entend questionner l’enseignement de l’architecture dans son rapport au monde professionnel, et plus largement le lien entre les écoles d’architecture et la profession.
À la question « pourquoi l’architecture ? », une grande partie des étudiants répondent avoir choisi cette discipline pour sa pluralité, à la fois artistique et technique, pratique et théorique.
Avec le temps, rêves et passions laissent peu à peu place aux doutes et inquiétudes.
Méconnaissance des débouchés, expériences de stages hasardeuses, insertion professionnelle incertaine… Parmi les 460 étudiants de cinquième année ayant répondu à l’enquête menée par L’Architecture d’Aujourd’hui en 2017, 51% ne se sentent pas suffisamment préparés à exercer le métier d’architecte. Pourtant, la formation délivrée par les écoles d’architecture doit permettre aux étudiants de se préparer aux différents modes d’exercice et domaines professionnels de l’architecture. L’échantillon interrogé reflète un sentiment encore bien présent dans nos écoles, ce qui nous pousse à nous interroger sur la déconnexion entre les écoles et la profession.
Articulée autour de l’acquisition d’une culture architecturale et d’une pensée critique, la découverte de nombreuses disciplines et l’apprentissage des processus de conception et de pratique du projet, la formation est peu professionnalisante.
Malgré les multiples liens entretenus par les diplômés en architecture avec de nombreux corps de métiers dans leur pratique professionnelle, la formation initiale ne tisse que très peu de liens avec d’autres disciplines des filières culturelles, sociales, économiques ou encore de l’aménagement du territoire par exemple. Par ailleurs, durant les cinq années de formation initiale, la fenêtre dédiée à la professionnalisation des étudiants en architecture est étroite : un stage « ouvrier et/ou de chantier » et un stage de « première pratique » pour une durée totale de six semaines au cours du premier cycle, puis au moins deux mois de stage de “formation pratique” lors du deuxième cycle. Nous ne pouvons que constater la distance qui sépare les étudiants de la profession. Ces périodes de stages, qui devraient essentiellement répondre à des objectifs pédagogiques et contribuer à renforcer les liens avec la pratique et la profession, ne font souvent qu’offrir une main d’œuvre peu coûteuse aux agences. Ainsi, de passion à désillusion, l’écart entre la formation et la réalité professionnelle peut s’avérer brutal.
Comment l’enseignement à l’école et la pratique en agence peuvent-ils se compléter ?
Césures, stages, workshops, concours, ateliers autogérés, engagement associatif ou encore auto-entreprenariat… Nombreuses sont les expériences personnelles et professionnelles entreprises par les étudiants en vue d’acquérir des compétences complémentaires à celles acquises à l’école. Malgré l’absence d’un véritable réseau actif d’alumni, les associations de type Juniors Architectes facilitent la mise en relation entre les professionnels d’aujourd’hui et ceux de demain, et délivrent des contrats avantageux pour les étudiants comme pour les agences dans le cadre de missions rémunérées.
Au-delà des initiatives étudiantes, certaines écoles expérimentent de nouveaux modèles de formation qui introduisent un rapport plus important à la profession dans le cursus. Mise en place en 2019 à l’École de la ville et des territoires Paris-Est à Marne-la-Vallée, la formation par la voie de l’apprentissage en alternance – qui permet de suivre son cursus en partageant son temps entre école et entreprise – suscite un réel intérêt pour ses atouts non seulement pédagogiques mais également économiques. En outre, ce modèle permet de connecter les écoles à leur territoire tout en accompagnant les étudiants dans leur professionnalisation. Cependant, proposé dans une filière dont les évolutions sont éminemment complexes, cette formation en alternance n’a pas été repensée en intégralité et impose alors un rythme très soutenu aux étudiants. Si le calendrier a été aménagé, la cohérence et la complémentarité du contenu des enseignements au regard des acquis issus de la pratique en agence n’ont pas été évaluées. Quelles connexions créer entre les apprentissages à l’école et ceux en agence ? Qu’est-il ainsi toujours pertinent d’apprendre dans les enseignements dispensés actuellement ? Tels sont les enjeux de ce nouveau modèle pédagogique, afin de s’assurer qu’il soit cohérent et accessible à tous.
Dans son discours du 15 janvier 2021, la ministre de la Culture Roselyne Bachelot a souligné la nécessaire adaptation de l’enseignement en architecture « aux évolutions de la société et aux besoins de la profession […] dans une vision globale de l’évolution de la pédagogie de l’architecture ». À l’heure où il semble important de rappeler que l’architecture est d’intérêt public, ne serait-il pas temps de repenser profondément la politique de formation des futurs architectes et par conséquent, le rôle des écoles d’architecture en France ?
(Sinon, y aura-t-il toujours des architectes demain ?)
Lise Le Bouille, présidente de l’UNEAP
- Enquête menée par L’Architecture d’Aujourd’hui auprès des étudiants inscrits en 5ème année dans les 20 ENSA en 2017.
- Arrêté du 20 juillet 2005 relatif aux cycles de formation des études d’architecture conduisant au diplôme d’études en architecture conférant le grade de licence et au diplôme d’Etat d’architecte conférant le grade de master.
- Entretien de Pierre Clément, dans Jean-Louis Violeau, Quel enseignement pour l’architecture ? – Continuités et ouvertures, éditions Recherches, Paris, 2000.
- Associations gérées par des étudiants, présentes dans plusieurs écoles d’architecture en France
- Mission d’inspection dédiée à l’organisation des enseignements, confiée à l’Inspection générale des affaires culturelles et à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche
Deux remarques :
1. Cette question de ce que l’école n’apprend pas du cadre professionnel occulte souvent celle de ce que l’on apprend à l’école et qui ne s’apprend pas dans ce même cadre professionnel. Et la matière à intégrer (apprendre à représenter correctement, comprendre la construction, apprendre à jongler avec des complexités de plus en plus nombreuses au fur-et-à-mesure de l’apprentissage, constituer une culture architecturale, urbaine, sociologique, historique…) est déjà très conséquente dans les 5 années de l’enseignement.
2. La précarisation de l’emploi est aussi une des raisons de cette écart entre les deux univers : le salariat – qui, avant permettait de faire un apprentissage progressif du métier en parallèle de l’enseignement reçu – a été remplacé par le stage (hors les stages obligatoires), non rémunéré – qui fait que seuls ceux qui ont les moyens (de travailler sans rémunération) peuvent découvrir en parallèle le métier.
Alors peut-être faut-il revoir la HMO, pour l’étaler sur deux ou trois ans, afin que ce soit une réelle expérience professionnelle qui soit valorisée par ce titre?
Votre constat est à mettre en parallèle avec l’évolution profonde de la profession : du rêve étudiant de créativité, à une réalité du monde du travail où les architectes sont des employés technico-administratifs spécialisés -comme les ingénieurs-architectes avant eux. La structure de l’emploi de ces métiers est, comme les autres secteurs économiques, la suivante : 10% des bureaux traitent 90% des commandes importantes, et 90% des indépendants se disputent les petites commandes privées -entre deux vacations dans lesdits grands bureaux…
Les études d’architecture ont tellement peu de lien avec le métier qu’on ne prévient pas les récipiendaires qu’ils passeront la plupart de leur temps sur un ordinateur dans un open space, à assembler les composants industriels, à passer beaucoup de réunions avec des tas d’intervenants, et quelques visites sur le terrain. En conclusion l’architecture c’est la meilleure des études, parce qu’elle embrasse tout l’espace humain et social, mais cela n’a absolument rien à voir avec la pratique, et des cours de survie en environnement professionnel s’imposent, par exemple « dans les bureaux, pourquoi être intelligent alors qu’il vaut mieux être malin ?.
Signé: un architecte récemment retraité