« Nous devons penser la ville de manière fonctionnelle et flexible », entretien avec Design for CollectiVe
Le numéro 437 d’A’A’ – Fabulous Britain ! – présente T-Pk, un système de terrasses flexibles et modulaires conçus en réaction à la crise sanitaire actuelle par le collectif Design for CollectiVe. Ses membres, l’historienne d’architecture Christine Hoarau-Beaural (www.visiteurdarchitecture.com), le journaliste Lionel Blaisse et l’architecte paysagiste et urbaniste Carolina Foïs (www.atelierfois.com), nous ont accordé un entretien dans lequel ils nous partagent leur vision pour l’aménagement urbain post-Covid.
Propos recueillis par Margaux Racanière
Votre travail collectif s’est entièrement déroulé à distance, pendant le confinement. Comment cela a-t-il affecté votre organisation de travail ?
Carolina Foïs (Atelier Foïs) : Le confinement a provoqué, sans surprise, une certaine baisse de régime à l’Atelier. Cela nous a cependant accordé du temps pour réfléchir à de nouveaux sujets entre avril et mai. Cela nous a permis notamment d’avoir une grande réactivité face à des projets que nous voyions se développer et qui généraient beaucoup de déchets. Au quotidien, pour moi qui ai toujours eu une préférence pour le fonctionnement d’agence, avec un rapport physique aux projets et aux personnes, le passage au téléphone et au mail était un peu dur à vivre. Mais nous avons joué le jeu. Je suis quand même contente depuis le déconfinement de pouvoir avoir de nouveau des êtres humains autour de la table !
Christine Hoarau-Beaural (Le Visiteur d’Architecture) : Je trouve que la distance oblige à connaître les compétences de chacun et à se faire confiance. Chacun se questionnait de son côté, nous semions des idées suivant une sorte de principe d’open source. Cela a permis de s’interroger différemment sur les problématiques.
Pouvoir se reposer sur le travail autonome et au calme de chacun était souvent plus flexible et rapide et donc plus efficace. C’était déjà un fonctionnement habituel pour Lionel Blaisse et moi mais le confinement a permis à ceux qui privilégient ce mode de fonctionnement d’être mieux compris. J’ai d’ailleurs longtemps milité pour un univers de travail au calme.
Lionel Blaisse : Nous avons su nous répartir les tâches efficacement. Souvent nous partions d’une interrogation générique et émettions une proposition. Carolina permettait par la suite la concrétisation et la recontextualisation de ces idées dans l’espace.
Quels étaient les sujets de vos réflexions ?
LB : Nous avons beaucoup parlé du confinement et de la largeur des trottoirs qui devenait inadaptée aux mesures de distanciation. Le trottoir est occupé majoritairement par des dispositifs pour l’automobile (parcmètres, bases de feux…). L’espace public est peu dessiné avec une vision globale, au point qu’on a l’impression qu’il est aménagé au fur et à mesure au fil des besoins qui arrivent.
Vous trouvez qu’il y a un problème dans le dessin dans l’espace public en France ?
CHB : Avant toute chose il y a une question de vocabulaire. En français il n’existe de traduction précise pour le terme anglais d’urban design, qui est différent de l’urbanisme. Il désigne le fait de dessiner ce qui se passe dans l’espace public.
CF : Il est vrai qu’en français, je me désigne en tant que paysagiste programmiste pourtant je fais de l’urban design, c’est-à-dire que je dessine l’espace entre les bâtiments.
Ainsi, T-PK pourrait être une nouvelle manière de voir, d’aménager l’espace public ? Avez-vous vocation à transformer l’aspect de la rue par ce projet ?
CHB: Nous avons fait le choix d’un dispositif flexible. On ne conçoit pas la ville en fonction d’une crise. Malgré tout, celle-ci permet de mener des réflexions nouvelles, l’urbanisme de dalle est par exemple lié à un urbanisme de crise, et notamment à la problématique de la tuberculose. Il faut accepter l’éphémère dans la ville. Pendant le confinement on a observé une réaction de résilience dans les espaces de partage des installations temporaires. Il faut aller dans le sens de l’adaptatif.
LB : Notre dispositif ne s’arrête pas aux terrasses de cafés il pourrait être utilisable pour aménager les sentiers d’écoles, des espaces plus larges pour attendre et garantir de la distanciation.
CF : On doit réfléchir la ville de manière fonctionnelle et flexible. Les rythmes diffèrent selon les saisons, les périodes de l’année. La ville doit pouvoir se métamorphoser pour accommoder ces changements. T-PK n’a pas vocation à être durable, fixe ; il doit être capable de disparaitre. C’est un dispositif réversible et flexible, durablement.
Qu’est-ce que la Covid-19 a changé dans l’appropriation par les citoyens de l’espace public ?
CHB: TP-K a été pensé à l’échelle de la rue, et particulièrement du voisin. Les voisins étaient au courant du projet, enjoints à se prêter au jeu. Je pense qu’il y a une grande distanciation entre l’échelle du voisin et celle du politique. Or, face à la crise chacun a été mis face à ses responsabilités. Il a eu mise en place de réseaux de solidarités et une force de réappropriation de la rue. Désormais à l’échelle de la rue, nous avons besoin d’une implication du politique, c’est pourquoi nous avons fait les démarches pour proposer notre projet aux autorités. Nous avons notamment fait une proposition à la CMA de Paris qui était disposée à lancer politiquement l’engagement.
CF : Effectivement, c’est ce qui a émergé de manière intéressante avec la Covid-19, une forme de retour à une espace social d’immeuble, de voisinage proche. Ce premier cercle a repris toute son l’importance. Il nous rappelle que l’espace de la rue est un espace de partage, un espace habité par des gens avec des temporalités différentes. La ville a pendant longtemps été pensée de manière fonctionnelle à défaut d’être pensée comme agréable.
LB: Avec le confinement, la façade et la cour ont trouvé un autre usage. La crise nous a rappelé que la rue est un entre-deux entre les façades et que nous avons besoin de balcons, d’espaces extérieurs. Nous devons permettre à la façade de jouer son véritable rôle. Il faut embellir la ville et les façades et pour cela, il faut que l’espace public soit plus dessiné.
Qu’est-ce qu’il faudrait absolument garder à l’esprit dans la conception de la ville de demain ?
CHB : Je pense que cette crise et cette réflexion nous révèlent que le sujet de l’humain n’est pas qu’un sujet de sociologie. Il faut revenir à un sens de la réalité et rappeler pour qui on conçoit.
LB : La crise nous a fait prendre conscience de notre responsabilité vis-à-vis de l’espace public. Dans le passé, les propriétaires étaient chargés de l’espace de la rue qui était juste devant leur porte, le propriétaire balayait devant chez lui. La municipalité n’était alors responsable que du nettoyage des voies de circulation. Il faut désormais avoir une rue certes équipée pour stationner les vélos, les trottinettes mais il faut surtout responsabiliser les citoyens.