Entretien : Rogers Stirk Harbour + Partners à Paris
À l’honneur sur la couverture du nouveau numéro de L’Architecture d’Aujourd’hui consacré à la « face cachée de ville », le Centre de conservation du musée du Louvre livré en 2019 à Liévin par Rogers Stirk Harbour + Partners (RSHP) demeure, s’il en fallait, une preuve de plus du talent exercé en France des architectes de l’agence britannique.
Alors que le Royaume-Uni a officiellement quitté l’Union européenne le 31 décembre 2020, RSHP a annoncé en février 2021 l’ouverture d’un nouveau bureau à Paris. Entretien avec Hamish Crockett, Associate Architect chez RSHP, sur les enjeux de cette installation française.
En quoi le Brexit pourrait-il avoir un impact sur vos projets en France ?
Hamish Crockett : Il est encore trop tôt pour dire quel sera l’impact du Brexit sur les entreprises britanniques travaillant en Europe. Au-delà de la charge comptable et administrative supplémentaire, il y a eu peu de perturbations dans nos projets en cours – notamment au regard des restrictions actuelles liées au coronavirus, qui ont un impact beaucoup plus important sur nos façons de travailler. Cependant, à moyen terme, nous devrons faire face à quelques changements dans ce fonctionnement transfrontalier, que nous tenons depuis longtemps pour acquis.
Par ailleurs, l’absence de dispositions relatives à la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles dans l’accord sur le Brexit signifie que nos collègues auront beaucoup plus de mal à s’inscrire auprès de l’Ordre des Architectes sur la base de leurs qualifications britanniques. Il sera également plus difficile de transférer nos équipes d’une administration à l’autre. Notamment parce que les voyages depuis la Grande-Bretagne sont interdits depuis que l’UE a fermé ses frontières extérieures. Il sera intéressant de voir à quelle vitesse les déplacements pourront reprendre une fois que la situation sanitaire s’améliorera. Tout cela rend d’autant plus important d’avoir des équipes basées dans l’UE. Nous nous attendons à une baisse de postulants européens auprès de notre agence à Londres – où ils représentent traditionnellement une très grande partie de nos effectifs – mais nous recevons déjà un grand nombre de demandes de renseignement pour notre bureau de Paris !
Avez-vous déjà ressenti l’envie de vous implanter en France, même avant le Brexit ? Pourquoi pas d’autres pays de l’Europe ?
HC : Oui, c’est quelque chose dont nous avions discuté de nombreuses fois. Certains de nos architectes étaient basés en France pour suivre des projets spécifiques sur place. Nous n’avons jamais ressenti le besoin d’avoir un bureau français, car Paris et Londres sont particulièrement bien connectées. Nous avons installé des bureaux à Shanghai et Sydney notamment pour pouvoir travailler dans différents fuseaux horaires. Paris étant à un peu plus de 2 heures de Londres en train, il était parfaitement possible de travailler sur nos projets parisiens depuis notre siège du Leadenhall Building. Comme beaucoup de mes collègues, je passais un jour ou deux par semaine à faire des allers et retours dans l’Eurostar.
Le développement accru de nos projets en France, le Brexit et dans une moindre mesure, la Covid, nous ont conduit à remettre en question nos méthodes de travail et à reconsidérer notre position antérieure. En outre, le hasard a fait que l’équipe francophone au sein de RSHP est passée à près de 20 personnes, le pivot vers la France s’est donc fait tout naturellement. Paris était un choix évident (et le seul) pour accueillir nos nouveaux bureaux. Non seulement parce que la majorité de nos projets européens sont en France mais aussi parce que Paris est une ville que nous aimons et connaissons très bien. Nous y avons d’excellents partenaires et des commanditaires passionnants. Depuis l’époque du Grand Pari(s) [le président de la République française avait invité à l’agence à étudier le Grand Paris et l’avenir de la capitale française de 2008 à 2013, ndlr], nous y travaillons presque continuellement. Beaucoup d’entre nous se sentaient comme chez eux à Paris.
Le Centre Pompidou, le tribunal de grande instance de Bordeaux, le centre de conservation du Louvre [ci-dessus] et, plus récemment, la Richard Rogers’ Drawing Gallery au Château La Coste… Quel regard portez-vous sur vos projets architecturaux en France ? Ont-ils une saveur particulière ?
HC : L’une des qualités de notre pratique est d’avoir su rester fidèle à nos principes fondamentaux. L’espace public, la lisibilité, la flexibilité, ou encore la durabilité sont des thématiques que l’on trouve dans tous nos projets, quelle que soit leur implantation dans le monde. Nous les adaptons à chaque fois au contexte local et aux manières de faire les choses, propres à chaque lieu. Le rôle de l’architecte est légèrement différent en France. Nous essayons toujours de combiner l’implication technique qu’on attend de nous au Royaume-Uni avec la poésie et l’accent culturel des projets français. Il y a certainement une matérialité distincte dans le travail que nous effectuons en France, et pas seulement parce que les entrepreneurs français insistent généralement sur l’utilisation du béton !
Il me semble également qu’il est possible d’être assez audacieux en France. Les commanditaires ont tendance à être un peu moins réticents à la prise de risque qu’ils ne le sont au Royaume-Uni. Cela nous permet d’explorer continuellement de nouveaux domaines, que ce soit dans nos travaux de master-planning ou dans nos bâtiments réalisés en France. Ces derniers ont souvent constitué une étape clef dans notre vocabulaire formel, que ce soit à travers la remise en cause des typologies établies pour le tribunal de grande instance de Bordeaux, l’essai de nouveaux aménagements pour le Terminal 1 de l’aéroport de Lyon, ou, dans le cas du Centre de conservation du Louvre, l’application de nos principes de conception dans un langage matériel différent. Ce sont tous des bâtiments très réussis, mais je pense qu’aucun d’entre n’aurait pu être construit ailleurs.
Hamish Crockett a étudié à la Mackintosh School of Architecture et à l’ENSA Paris Belleville. Il rejoint l’équipe Rogers Stirk Harbour + Partners en 2010, ayant préalablement travaillé sur de nombreux projets à très haute performance environnementale. Il a participé à de multiples réalisations de l’agence depuis, avec une prédilection, en tant que francophone, sur les projets en France, comme le Centre de conservation du Louvre à Liévin.