"Bègles et les machines urbaines", Rosalie Robert, Pauline Percheron, projet mentionné © Bègles et les machines urbaines, Europan France
"Bègles et les machines urbaines", Rosalie Robert, Pauline Percheron, projet mentionné © Bègles et les machines urbaines, Europan France

Architecture

Europan 14, concevoir des villes productives

Depuis 1988, le concours Europan est lancé simultanément dans plusieurs pays d’Europe, autour d’un thème commun et à partir de situations urbaines proposées par des villes européennes. Concours d’idées d’architecture et d’urbanisme, parfois suivi de réalisations, Europan s’adresse aux jeunes architectes, urbanistes et paysagistes de toute l’Europe.

L’Architecture d’Aujourd’hui consacre un hors-série « AA Perspectives » à la 14e édition de ce concours, articulée autour du thème « Villes productives »,  Retrouvez ci-après le préambule de cette édition spéciale, signé du sociologue Jean-Louis Violeau, qui dresse un bilan de cette compétition européenne, créée il y a déjà 30 ans.

 

"Permacultures urbaines", David Palussière, Camille Tréchot-Jasnault, Angers, mention spéciale © Permaculture urbaines - Europan France
« Permacultures urbaines », David Palussière, Camille Tréchot-Jasnault, Angers, mention spéciale © Permaculture urbaines – Europan France

Lorsque l’État se trouva soudain, au terme des années 68, en mal de repères pour évaluer et garantir la qualité des architectes qu’il faisait travailler sur ses deniers, il mit en place une série de concours et de formules promotionnelles. Parmi eux, l’ancêtre d’Europan, le Programme Architecture Nouvelle (1972), bien nommé PAN. PAN, PAN, le Prix de Rome ! Avec un mot d’ordre appelé à mobiliser : des idées à la réalisation. Aucun architecte n’y résista et tous passèrent par là, de Jean Nouvel à Christian de Portzamparc sans oublier Henri Ciriani et Roland Castro. Un texte de Jean-Louis Violeau.

Passée cette phase de reconstruction, l’année 1989 sonna l’heure de l’élargissement européen du concours et l’on comprend facilement comment, les murs chutant, il y eut concordance des temps. Trente ans plus tard, où en sommes-nous ? Depuis les Nicolas Michelin, Jean-Patrice Calori, Pierre Gautier et Tania Concko, Nicole Garo et Marc Boixel, Catherine Rannou et Isabelle Devin, Béal & Blanckaert, Lanoire & Courrian, Philippon & Kalt, Pietro Cremonini, François Defrain, Armand Nouvet, Gilles Delalex, TVK, DLW et j’en passe, les générations s’y trouvent désormais sérieusement empilées. Il se dessine clairement une « école » Europan. Elle demeure plus que jamais un passeport, un guide et un label, le gage d’une « qualité » reconnue par l’État et les collectivités.

Intellectuels, parisiens, européens

S’il n’y a pas à proprement parler de « condition » de lauréat d’Europan, il s’en dessine en revanche des expériences, des vies ou plutôt des trajectoires avec leurs lignes de forces et de continuité, leurs points de fracture et leurs bifurcations. Dans notre bilan des 20 premières années du concours, en 2008, les lauréats avaient en moyenne hérité de leur première commande à 30 ans tout juste, avec au mitan une séquence très dense entre 1999 et 2001. Les agences s’étaient en général montées dans la foulée.

La plupart étaient d’abord passés par des écoles parisiennes, avec déjà un séjour à l’étranger, de préférence en Europe. « L’aventure européenne » avait pu alors revêtir un « vrai » sens pour eux, entre mur de Berlin et référendum pour le traité de Maastricht. Un sens probablement plus palpable, immédiatement perceptible, bien plus sensible et concret qu’il ne l’a été ensuite au fur et à mesure de la succession des sessions.

Lors de notre enquête, les deux-tiers d’entre eux enseignaient déjà. Si l’on souhaite tracer les grands traits d’une identité collective caractérisant ce groupe contrasté, sinon disparate, c’est certainement par là qu’il faut commencer, par ce lien entre pratique, enseignement, écriture et théorie, cette articulation entre savoir, savoir-faire, pensée et projet, avec le trait pertinent de ce « second métier » d’enseignant.

Passage à l’acte ?

Être lauréat du PAN dans les années 1970 et 1980, c’était une commande assurée, pas toujours sur le site du concours mais quelque part en tout cas, une opération de logements sociaux de taille raisonnable, mettons entre 20 et 30, en partenariat avec l’un des nombreux offices ou SA d’HLM qui comptaient parmi le « club » des maîtres d’ouvrage partenaires du concours piloté par le Ministère. La décentralisation installée, ce lien s’effiloche au fil des sessions, et par son caractère multinational, Europan rebat les cartes. Même si nous n’en étions pas encore à la VEFA généralisée, loin de là, par en haut (scènes nationales) et par en bas (localement), les maîtres d’ouvrage prennent leurs distances progressivement.

Maintenu à bout de bras sur les premières sessions, ce fil qui reliait le concours à la construction est aujourd’hui devenu ténu. Il suffit par exemple de s’attarder sur le parcours particulièrement combatif qu’aura mené ces dernières années l’Atelier Georges. Lauréat dès 2011 (Europan 11) – associé à Laetitia Lafont –  sur les 105 hectares de la (future) ZAC de la gare au sud de Savenay, nœud ferroviaire aux portes de l’estuaire de la Loire et à cheval sur le Sillon de Bretagne. Le collectif post-estudiantin se crée dans la foulée pour gravir péniblement le chemin de la concertation. Bravant les phases successives de procrastinations diverses et variées, l’Atelier Georges ne lâche pas la bride, animant moult réunions publiques fidèlement chroniquées par L’Écho de la presqu’île, Ouest-France et Presse Océan. Un mandat de maîtrise d’œuvre urbaine lui a bien été confié (il a été confié à Laetitia Lafont, mandataire, qui s’est associée à l’Atelier Georges), mais les risques d’inondation auront peut-être bien raison de ce « Savenay II ». Enfin soyons rassurés, après un siècle et demi d’existence (la gare entra en service en 1857), un accès sud vient d’être ouvert : la SNCF ayant bien mis près de deux ans pour prolonger son souterrain, il ne faut jamais désespérer.

"Jurassic Parks", Altitude 35 (Clara Loukkal, Benoît Barnoud), Besançon, projet lauréat © Altitude 35 - Europan France
« Jurassic Parks », Altitude 35 (Clara Loukkal, Benoît Barnoud), Besançon, projet lauréat © Altitude 35 – Europan France

Mais loin de se décourager, l’Atelier Georges postule à nouveau pour la session suivante du concours, la 12e, plus près de chez eux cette fois-ci – ils se sont installés dans le XXarrondissement de Paris – sur le site de Saclay. Bingo, lauréats à nouveau en 2013 ! Laetitia Lafont a entre-temps lâché les associés de l’Atelier Georges Thibault Barbier, Aurélien Delchet, Mathieu Delorme, Thomas Nouailler et Yvan Okotnikoff. La plupart ont étudié ou travaillé au sein de structures qui sont toujours restées proches du « réseau » Europan, de l’agence Obras (Marc Bigarnet et Frédéric Bonnet avaient été lauréats en 1994 à Alicante) aux DSA d’architecte-urbaniste de l’ENSA Paris-Belleville et l’ENSAVT de Marne-la-Vallée. À bonne école, ils prennent acte qu’aujourd’hui «la ville déborde très largement ses concepteurs» pour définir « la ville-campus comme un cadre de négociations permanentes», « puisque rien ne se fait seul», « puisque rien n’est certain», « puisque rien n’est uniquement humain ».

Lauréat du Palmarès des Jeunes Urbanistes en 2014, le collectif se présente désormais comme une « plateforme pluridisciplinaire d’échanges permanents autour de la fabrication de la ville et des territoires». Il en profite donc pour postuler une troisième fois à l’occasion d’Europan 13. Carton plein : leur OUvroir de LIeux Potentielsleur permet d’être à nouveau distingués, « cités », fin 2015  – et encore plus près de chez eux – à Montreuil, une évidence puisque c’est là « foisonnent les initiatives et où la ville se construit collectivement ». Cette expérience de construction collective, l’Atelier Geroges la réinvestit désormais un peu partout en France, par exemple à Nantes, dans la région de ses premiers pas « en solo », pour la reconversion résidentielle des vastes emprises (1 700 logements y sont annoncés) de l’ancienne Caserne Mellinet, au cœur de la ville. Aux côtés des aînés chevronnés de l’atelier TGTFP des frères Treuttel (eux-mêmes lauréats du PAN 11 en 1979, pour la reconstruction de villas à Gagny) et avec Stéphane Pourrier, ils y animent la phase de concertation avec le collectif Bellastock et assureront la maîtrise d’œuvre des espaces publics du nouveau quartier.

Si l’on ajoute que plusieurs membres, fidèles ou permanents, de l’Atelier Georges avaient déjà individuellement participé aux sessions 9 et 10 d’Europan, il se dessine clairement au fil de cette trajectoire une « école » Europan. Certes, elle n’ouvre plus directement vers la maîtrise d’œuvre, surtout si l’on considère la maîtrise d’œuvre architecturale, mais elle demeure peut-être plus que jamais un passeport, un guide et un label, quelque chose comme un ouvroir potentiel, bref le gage d’une « qualité » (toujours) reconnue par l’Etat et les collectivités. Une forme de reconnaissance, pour emprunter le concept du sociologue allemand Axel Honneth, où le rapport pratique à soi se constitue dans un rapport à autrui : être lauréat de ce prix permet en effet de se constituer un « réseau », dit plus trivialement se faire connaître, et chaque architecte HMOnp sait aujourd’hui qu’elle/il est tenu de s’en constituer un si elle/il souhaite un jour exercer « en son nom propre ». Ce concours demeure donc un accélérateur de carrière, mais à l’image de la société dans son ensemble : celle-ci n’est plus aussi clairement balisée qu’elle ne l’avait été pour nos aînés. Et pour reprendre le thème de la 12esession d’Europan, la ville adaptable, les jeunes, et bien, ils s’adaptent !


Jean-Louis Violeau

Le hors-série « AA Perspectives. Concevoir des villes productives » est disponible en libraires et sur notre boutique en ligne.

© L'Architecture d'Aujourd'hui
© L’Architecture d’Aujourd’hui

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