La Fondation Avicenne réhabilite Claude Parent et André Bloc
Inaugurée en novembre 2024, la réhabilitation de la Fondation Avicenne – anciennement « Maison de l’Iran », sur le site de la Cité universitaire, menée par Béguin et Macchini, a permis de jeter une lumière nouvelle sur ce projet en bordure de périphérique – legs majeur de Claude Parent et André Bloc. Retour de visite.
Anastasia de Villepin
André Bloc, Claude Parent, il n’en fallait pas plus à AA pour se rendre avec entrain à la visite de la Fondation Avicenne de la Cité internationale universitaire de Paris, autrefois « Maison de l’Iran » réhabilité par l’agence Béguin et Macchini et inaugurée en novembre 2024. 17 ans d’attente pour rendre à la vie ce projet pourtant sur toutes les lèvres quand il s’agit de citer les réalisations du duo Bloc-Parent. Fermés en 2007, les locaux vétustes avaient été confiés deux dans plus tôt aux architectes Béguin et Macchini, désignés lauréats de l’appel d’offre en 2005 par un jury auquel participait Claude Parent lui-même.
La suite pourrait être dramatique si elle n’était pas si commune : le manque de moyens financiers pour s’attaquer au géant de métal et de verre, amianté qui plus est, ralentit la mise en œuvre de sa réhabilitation. Il faut attendre une collaboration financière entre la RIVP, l’État – via le mouvement du « plan de relance », la DRAC Île-de-France et le ministère chargé du logement – et l’Union européenne, pour que la machine reprenne.
Et quelle machine. Déjà en 1957, quand sont désignés les architectes iraniens Moshen Foroughi et Heydar Ghiai, leur projet ne plaît guère – trop d’emprise au sol, entre autres. Invité par les deux architectes, André Bloc, figure française mondialement reconnue pour son œuvre et sa revue, vole au secours du projet, accompagné de Claude Parent. Les quatre maîtres d’œuvre aboutissent à un dessin définitif en 1961 et le projet est inauguré en octobre 1969.
Extraits du numéro 141 de L’Architecture d’Aujourd’hui, 1969. Cliquer pour faire défiler.
En bordure des sillons du périphérique qui, hasard du calendrier, se construit de concert, la Maison de l’Iran ne peut que s’accommoder des contraintes de son territoire – et des enjeux administratifs qui le régissent. Pour Claude Parent, l’éloquence du bâtiment garantit sa survie. « En vision lointaine, elle demandait une préhension simple, immédiate, à cause de la grande vitesse des véhicules sur les voies, donc un faible temps de perception. C’est un rare exemple, à Paris, de la réalité de la vision en géométral », écrit-il en janvier 1969 dans L’Architecture d’Aujourd’hui (numéro 141).
Il continue ainsi : « Pour la fermeté de son dessin, l’acier fut choisi. Sur deux à trois étages de carrière, la réalisation d’une verticale de 35 m de hauteur, dans laquelle il fallait faire tenir (à l’intérieur des alignements règlementaires) le programme de 100 chambres d’étudiants, militait en faveur d’une grande ossature-support touchant le sol en peu de points. » Trois portiques, reliés par des lisses horizontales débordant en consoles, soutiennent deux volumes d’habitation, séparé par un étage en retrait accueillant le logement de la Shahbanou d’Iran, Farah Diba, épouse du Shah d’Iran de l’époque, commanditaire du projet*.
« Cette charpente métallique a fait qu’il n’y a en réalité que très peu de béton. À l’époque, le chantier mené, entre autres, par la CFEM [la Compagnie Française d’Entreprises Métalliques, les anciens ateliers Eiffel] a requis que les pièces soient soudées sur place. Il s’agit de techniques proches de celles employées sur des chantiers navals », souligne Gilles Béguin, associé de l’agence Béguin et Macchini à l’origine de la réhabilitation, qui a lui-même travaillé un temps pour Claude Parent. « Par ailleurs, ce métal massif a été capoté, à l’aide de caissons de tôle soudée, dans un traitement quasi sculptural qui n’a pas été pour déplaire à André Bloc ». Respectant la délicatesse du sculpteur, les architectes de l’agence Béguin et Macchini ont, après un lourd désamiantage, repeint les éléments structures métalliques de couleur noir quartz.
Pour l’agence infirmière, au chevet de l’acier, il a s’agit de consolider cette structure iconique de neuf niveaux, tout en réaménagement les chambres intérieures. Exit les sanitaires communs, désormais, les 111 logements sont tous équipés d’une cuisine et d’une salle d’eau, installée « en déhanché » dans l’étroitesse du studio, une oblique clin d’œil. Exit également la suite impériale, devenue un appartement destiné à une colocation pouvant accueillir cinq résident·es. Quelques détails de l’aménagement intérieur, à l’époque signé du designer français Jean Royère, ont été conservés, comme ces balustres de bois, déposées, rénovées puis replacées pour encercler un salon en creux, accessible par quelques marches.
C’est peut-être dans cet interstice impérial devenu maison commune, ouverte aux studieux·ses de passage que réside toute la beauté du projet : c’est sur cette même terrasse que l’on goûte la puissance de ces espaces en suspension, maintenues par trois griffes métalliques. Et puisque les chambres disposent toutes d’une loggia exposée à l’est, puisqu’il ne s’agit pas tant de voir que d’être vue, pour la Maison de Parent, les trois façades aveugles – rhabillés d’Eternit blanc et gris – sont vite pardonnées. « C’est dans l’affirmation du tracé de cette ossature principale que réside le parti esthétique du projet. Exprimée, rejetée hors des volumes habitables, cette ossature scande l’espace », défendait Claude Parent dans AA.
*Financée par l’État iranien, la maison devient un foyer d’opposition au régime, puis fermée et abandonnée. Elle fut reprise par la Cité internationale universitaire en 1972 qui la rebaptisa Avicenne, du nom d’un médecin et savant persan du Xe siècle.