Architecture

Friches et architecture, éloge à ma grand-mère

Alors que les commissaires du Pavillon français de la 16e édition de la Biennale d’architecture de Venise ont choisi de faire la part belle aux friches, l’architecte de la plus emblématique d’entre toutes – La Belle de Mai à Marseille – précise ici pourquoi il croit davantage en ces lieux qu’en tout autre projet de bâtiment neuf. Une tribune signée Matthieu Poitevin.

Friche la Belle de Mai © Caroline Dutrey
Friche la Belle de Mai © Caroline Dutrey

Les friches sont merveilleuses. Une friche offre des possibles là où un bâtiment neuf n’offre que des solutions définitives. Une réalité unique. Quelle folie, quelle prétention de croire qu’il n’existe qu’une seule vérité.
La friche est une histoire, une histoire vraie. Les friches disent ce qui est, avec elles impossible de tricher, il suffit de les écouter et de les remercier. Ces bâtiments en ont vu d’autres, du bruit, des odeurs, de la sueur, du labeur. Elles vivaient au rythme de ceux qui travaillaient à l’intérieur.
Ce sont des bâtiments conçus pour ça. Ici pas de chichi, pas de « geste » faisant l’éloge narcissique de celui qui l’a construit mais de l’intelligence, de la technique, du volume et la poésie de l’échelle.
C’est une architecture de l’invisible faite de lumière et d’air, de matière juste et de profondeur. Ces lieux ne nous disent pas comment penser, ils s’offrent à l’imagination. Ils respectent la liberté de ceux qui les visitent.
« Tu m’aimes, je t’accueille. Tu ne me vois pas, ça m’indiffère, j’ai l’élégance de celui qui est là depuis longtemps, tu n’es rien ou si tu es là c’est pour me faire du bien. »
Tout est trop grand, trop haut, abîmé parfois par le temps, trop profond… mais tout est là. La ville, en grandissant, a rattrapé ces bâtiments qui sont devenus d’abord des corps gênants que l’on a vite fait de raser et qui sont, désormais, des géants endormis qu’il faut réveiller doucement.
Ce sont les survivants de là d’où nous venons, ce sont nos grands-parents. Quel est le fou qui se dirait, en allant voir sa grand-mère : « Tu es vielle, je vais te faire un gros lifting et une liposuccion et te mettre au yoga et à la bouffe bio ».

Il y en a tant pourtant …

Mais ma grand-mère est belle parce qu’elle est vieille. Je m’en fous de ses rides et de ses cicatrices. Je l’aime comme elle est. Elle est sage, elle s’en tape du paraître, elle me regarde avec les yeux qui brillent de malice. On l’a laissée tomber mais elle a su rester digne, elle est encore là. Ça se respecte ça !
Face à elle, les vanités fondent, le paraître trahit le faux. Elle est vraie. On paraît en société alors qu’on peut se livrer à ceux qui nous aiment. Ma grand-mère m’aime, elle n’a pas besoin de mots pour le dire, alors je peux me livrer et je ne me livre, non pour paraître mais pour donner.
C’est alors que je prends soin d’elle. Que je lui insuffle de l’énergie pour lui refiler la pêche.
C’est maintenant que je comprends que nous avons instauré, encore mieux qu’un don, un partage. Le partage induit une durée, ce que tu donnes ou ce que tu prends induit une fin ; l’histoire continue.

Voilà je peux partir maintenant, mais, si elle m’appelle, je serai toujours toujours là.

Matthieu Poitevin

photographie © Caroline Dutrey