Une galerie rêvée 4/5 : Marie Bovo
Dans le hors-série L’Architecture est un territoire publié par L’Architecture d’Aujourd’hui et consacré au travail de l’architecte Rémy Marciano, ce dernier était invité à imaginer sa « galerie rêvée » – un musée de papier qui expose cinq artistes et leurs œuvres. Après Luigi Ghirri, Armelle Caron et Bruno Fontana, au tour de la photographe et artiste Marie Bovo de nous dévoiler « sa » Méditerranée.
Voici l'article de Jean-Philippe Hugron paru dans le hors-série « L'Architecture est un territoire », numéro disponible sur notre boutique en ligne.
« Cette série a été réalisée à Marseille dans un kebab. Elle illustre la question du territoire et la met en acte », indique Marie Bovo. Cette photographe française est reconnue pour une œuvre saisissant aussi bien les paysages de Russie à travers les portes ouvertes du Transsibérien que les cours et les fenêtres des quartiers populaires d’Alger.
Ouvert de 7 heures à 2 heures du matin, En Suisse – Le Palais du Roi était un kebab situé à l’angle de la rue des Feuillants, à Marseille. Ouvert depuis toujours, il semblait éternel. Il était composé d’une seule salle indigente, mais couverte de céramiques et de grands miroirs datant de 1895 ; un décor splendide pour un fast-food. Les céramiques illustraient la fondation mythologique de Marseille : la rencontre de Gyptis et Prôtis. Le propriétaire du kebab, un Franco-Égyptien installé à Marseille depuis longtemps, me disait que l’endroit faisait autrefois partie d’une banque.
J’avais convenu avec le propriétaire et les serveurs de venir photographier le lieu une ou deux soirées par mois afin de ne pas gêner le service. Je travaillais à partir de 20 heures. Je souhaitais photographier à la lumière des néons fonctionnels et crus de la salle. Enfants, dealers, adolescents, solitaires, familles entières venaient dîner pour une modique somme. Toute la Méditerranée, toutes ses voix multiples, les voyageurs, les migrants étaient représentés sur les murs et présents dans la salle, jusqu’au personnel franco-algérien. J’ai cadré en inscrivant les grands miroirs dans l’image, de sorte que chaque image contienne le mythe et son reflet de l’autre côté du miroir, pas son envers mais sa profondeur dans le temps.
Quelques mois plus tard, j’ai découvert que le kebab avait été vendu. Son nouveau propriétaire souhaitait en faire un kebab « moderne ». La Ville de Marseille, qui avait inscrit ces céramiques au Patrimoine, demanda à ce qu’elles ne soient pas détruites mais ne fit aucun suivi de chantier, et les céramiques ainsi que les miroirs disparurent sous des placoplâtres collés directement sur les carreaux.
Atterrée, j’ai insisté pour photographier le chantier avant que les céramiques ne disparaissent. Après un long temps d’hésitation du propriétaire, les prises de vues ont pu être réalisées dans l’obscurité, la lumière des halogènes de chantier éclairant ponctuellement certaines zones. Le lieu se métamorphosait en ruine. Aujourd’hui, il se nomme Istanbul City.
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Découvrez les autres artistes invités par l’architecte Rémy Marciano dans le hors-sére « L’architecutre est un territoire ».
Entre deux temps , la même viande , le même terroir , Il y a eu mutation du territoire ; les usagers , les utilisateurs : dé dépravation ou développement du gout ? Quand à l’architecture vernaculaire ou savante , elle cherche une situation , une place en amont ou en aval de cette métamorphose .