Galeries d’aujourd’hui : démesures ?
« Si on m’avait parlé de démesure quand j’ai commencé à être critique d’art, j’aurais pensé aux œuvres elles-mêmes, à certaines œuvres du land art de dimensions gigantesques, dans des lieux donnant sur l’infini du ciel et du désert. Et même avant cela, j’aurais plutôt pensé aux très grands formats de la peinture abstraite new-yorkaise », raconte la critique d’art Catherine Millet dans le n°440 de L'Architecture d'Aujourd'hui.
Afin de nourrir cette réflexion, la rédaction d’AA a invité trois galeries d’art à sélectionner une œuvre d’un artiste plasticien qu’elles représentent exprimant l’idée de la « démesure ». Ont répondu à l’invitation : la maison d’édition We do not work alone, la galerie Templon et la galerie Max Hetzler.
LA RÈGLE ET LA MESURE CHEZ ELSA WERTH
représentée par We Do Not Work Alone
Dans ses installations, vidéos ou pièces sonores, l’artiste française Elsa Werth (née en 1985) opère une mise à nu des systèmes qui régissent le réel. Détournant souvent dans son travail les objets quotidiens pour mieux remettre en question les standards, qu’ils soient administratifs ou de représentation, elle a ainsi imaginé pour les éditions We Do Not Work Alone un réglet métallique de 30 cm. Entre chaque nombre, l’artiste a inséré un signe mathématique. Le produit de cette suite additionnée, soustraite, multipliée et divisée est égal à la longueur réelle de la règle : 30 cm d’un côté et 12 inches de l’autre.
Créant une longue équation mathématiquement juste, mettant en jeu les chiffres indiqués sur les graduations, elle les transforme ainsi en une suite doublement logique. Sous l’apparence trompeuse de l’objet familier, une discrète lézarde dans l’édifice du sens et des mesures.
We do not work alone est une maison d’édition fondée à Paris en 2015 par Louise Grislain, Anna Klossowski et Charlotte Morel. Elle édite, en séries limitées, des objets usuels conçus par des artistes.
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LE MANHATTAN DEMESURE DE IVAN NAVAROO
représenté par la galerie Templon
Iván Navarro que nous représentons depuis 2005 tisse des liens entre art contemporain, design et architecture. Chilien installé à New York depuis 25 ans, il imagine des installations électriques qui ont souvent rendu hommage au modernisme, du Bauhaus à Rietveld, mais aussi aux paysages démesurés de Manhattan : gratte-ciels, water towers, escaliers de secours… Il explore la notion d’infini et d’illusion, par le biais de répétition de lumières ou de jeux de miroirs sans tain qui déclinent à l’infini ses motifs. Pour l’artiste, ses œuvres doivent agir comme des métaphores de notre condition contemporaine : le règne de la surveillance, l’impossibilité de l’exil, l’illusion de l’émancipation politique. (Anne-Claude Coric – directrice générale de la galerie Templon)
La galerie Templon a été fondée en 1966 par Daniel Templon, âgé alors de 21 ans seulement. Depuis 1972, la galerie se situe rue Beaubourg à Paris et a ouvert deux autres espaces d’exposition : rue du Grenier Saint-Lazare, toujours à Paris, et rue Veydt à Bruxelles, en Belgique.
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LES PAYSAGES PICTURAUX DE RAPHAELA SIMON
représentée par la galerie Max Hetzle
Raphaela Simon (née en 1986) est connue pour ses représentations à l’huile de formes simples et indéfinies sur des fonds monochromes. L’artiste produit ces œuvres par étapes successives, repeignant et modifiant ses compositions dans un procédé lent et continu. Elle crée de cette manière des palimpsestes dont les couleurs successives transparaissent à travers les couches de peinture superposées, donnant à ses compositions des nuances élaborées. Évoquant souvent des portraits, les titres des œuvres de Simon font référence à des objets et motifs ordinaires, suggérant ainsi un potentiel figuratif latent. De la sorte, l’artiste joue avec la tendance naturelle de celui qui regarde à attribuer aux formes abstraites une signification.
La galerie Max Hetzler a ouvert ses portes pour la première fois à Stuttgart en septembre 1974 sous le nom Hetzler+Keller. Elle est aujourd’hui présente à Berlin, Paris et Londres.