Trois questions à… Ingrid Taillandier
À la tête de l’agence ITAR architectures qu’elle a fondée à Paris en 2006, Ingrid Taillandier enseigne depuis 2005 à l’ENSA Paris-La Villette et, depuis 2011, à l’ENSA Versailles, où elle est responsable d’un double master franco-chinois. Pour AA, elle répond à trois questions sur sa vision de l’enseignement et les différences que l’on peut observer entre la Chine et la France.
L’Architecture d’Aujourd’hui : Vous êtes responsable du double master franco-chinois à l’ENSA Versailles, en partenariat avec l’université de Tongji à Shanghai. Pouvez-vous préciser sur quel sujet porte votre enseignement ?
Ingrid Taillandier : Le double master franco-chinois, dont la moitié est composée d’étudiants chinois, débouche sur deux diplômes : le diplôme d’architecte de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles et un diplôme d’urbanisme de l’université de Tongji à Shanghai. L’enseignement est prodigué exclusivement en anglais. Intitulé « Ecological urbanism », ce master est axé sur la ville durable. Depuis sa création il y a 5 ans, deux thématiques majeures ont été développées à Versailles : les villes nouvelles et les villes et l’eau. Pendant leur année à Tongji, les étudiants se concentrent sur leur master thesis dont ils ont eux-mêmes choisi le thème. C’est un travail de recherche académique en urbanisme et sociologie, cherchant à comparer les projets, les approches, les cultures entre l’Europe et la Chine, et qui s’appuie sur des études de cas, des entretiens et des enquêtes sur place. Par ailleurs, un workshop international de deux semaines par an est en général organisé avec environ quatre autres écoles. Nous partons également chaque année à la rencontre d’agences d’urbanisme en Europe.
AA : Quelles sont les différences que vous observez entre la façon d’enseigner l’architecture en France et en Chine ?
IG : Il est difficile de comparer les deux cultures d’enseignement de façon équitable car, à Versailles, nous enseignons avant tout le projet architectural et la conception urbaine tandis qu’à Tongji, le département d’urbanisme, avec lequel nous avons cet accord, n’enseigne que la planification urbaine avec une dimension sociologique très forte. Nos étudiants français apprennent ainsi à mener des recherches et à utiliser les data bases selon l’approche de Tongji et les étudiants chinois apprennent à dessiner et concevoir avec nous.
AA : Wang Shu & Lyu Wenyu, avec leur agence Amateur Architecture Studio, rencontrent un succès certain auprès des étudiants en France. Qu’en est-il pour vos étudiants chinois ?
IG : L’université de Tongji n’est pas dans la lignée de la New Academy of Art de Hangzhou où enseignent Wang Shu et Lu Wenyu. Il y a même je pense une certaine compétition entre elles. Cependant, on voit surgir depuis trois ans des préoccupations communes. Ainsi les thèmes de recherche de nos étudiants chinois sont désormais très tournés vers des projets aux enjeux sociétaux comme les projets intergénérationnels, les projets d’hébergement pour immigrés ruraux à Shanghai (les nongmingong) ou les projets de réhabilitation de villages abandonnés. Ils s’intéressent plus qu’avant à la suture entre quartiers, à la densification de centres-villes avec de fortes qualités environnementales, aux activités informelles sur l’espace public ou à la reconnexion de la campagne à la ville, à travers la mixité programmatique ou la mixité des typologies bâties. En revanche, remettre en cause la destruction de quartiers entiers au sein de la vieille ville ne fait pas encore partie de leurs préoccupations. Il est certain que de telles positions sont difficiles pour eux à affirmer car leurs principaux employeurs, à leur sortie d’école, sont les instituts d’urbanisme étatiques.
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Retrouvez cet entretien mené par Anastasia de Villepin dans le numéro 431 « Chine, régénérations » de L’Architecture d’Aujourd’hui, disponible sur notre boutique en ligne.