« Intensité de sollicitation piétonne », le Quid de Philippe Trétiack
Architecte et urbaniste de formation, Philippe Trétiack est journaliste et écrivain. Grand reporter depuis trente ans, il collabore avec plusieurs magazines, dont Vanity Fair, ELLE Décoration, Air France Magazine… Auteur, il a publié une vingtaine d’ouvrages dont Faut-il pendre les architectes ? (Seuil, 2001), De notre envoyé spécial (Éditions de l’Olivier, 2015), et L’Architecture à toute vitesse (Seuil, 2016). Dans les pages de L’Architecture d’Aujourd’hui, Philippe Trétiack décrypte avec humour le jargon de l’architecture dans la rubrique Quid ? Pour le N°427, il s’attaque à l’expression « Intensité de sollicitation piétonne ».
Plus ça va… et plus ça va comme ça ! La novlangue de la mairie de Paris titillant des sommets stratosphériques de ridicule, elle suscite désormais ruades et quolibets. Il faut dire que nos édiles ne reculent devant rien. Ainsi, et pour donner à nos déplacements souvent laborieux un coup de fouet salutaire, les voilà affublés d’un concept à rallonges : « l’intensité de sollicitation piétonne. » Dame, de quoi s’agit-il ? D’un encouragement à mettre un pied devant l’autre ? D’un continuum de façades et d’avenues qui, par la seule vertu de leurs qualités formelles, engagerait le quidam à se mettre en branle, et fissa ? D’une disposition naturelle de l’air saturé de diazote et d’argon à générer des randonneurs ? Quelle image magnifique alors que celle de ces Parisiens lancés dans l’ascension de la face nord du boulevard Bidule et s’attaquant déjà à la descente de la rue Duschmoll… Sollicité, rejoins tes camarades ! Des sollicitations, nous en subissons pourtant déjà beaucoup et il n’est pas certain que nous désirions en supporter une de plus. Je suis déjà tanné par Terres de Fenêtre dont le nom de baptême semble tout droit surgi des rhizomes cérébraux des fonctionnaires hildalgistes, et tout ça pour me coller des volets PVC !
Alors, question sollicitation, j’ai mon compte. Mais bon, prenons sur nous. Essayons un instant d’imaginer un espace dénué de toute « intensité de sollicitation piétonne » comme Philippe Muray l’avait tenté hier en imaginant un monde sans « agent d’ambiance ». Je le concède, c’est effrayant. Des rues, des avenues, un silence. Rien pour vous donner cette impulsion qui distingue le citoyen de la blatte et du chou. Un climat de nécropole, un dimanche à toute heure. Au mépris de toutes les mises en garde de la Faculté, cardiologues, neurologues, néphrologues, rien pour inciter le bon gars à secouer ses mandibules. Un cauchemar. Pourtant n’était-ce pas là précisément ce à quoi la mairie de Paris nous conviait sans cesse et partout ? D’adopter la pédale douce, la mobilité conviviale en secteur apaisé ? Et là encore, la vérité surgit, implacable, vibratoire et frissonnante. À force d’injonctions à la modération, à coups de promotion du vélo mou, au terme d’infantilisations conduites à la Grosse Bertha par nos élus moralisateurs, le Parisien est en voie de déliquescence. Il obtempère. Il ralentit, il s’affaisse et dépérit. Réalisant alors l’erreur funeste, les créatifs de l’Hôtel de Ville se sont rués dans leurs labos. Et de leurs paillasses encore fumantes, ils ont extrait un antidote : « la sollicitation d’intensité piétonne. » Le recours ultime, la dernière chance, style décharge électrique dans la cuisse de grenouille. Un dernier spasme avant la fermeture. Sous leur férule, on finira grabataire ou crapaud. La capitale avait ses périphériques, elle a maintenant ses périphrases. Quand on connaît la congestion des premiers, on imagine la thrombose des seconds. Elle risque d’être intense.
Retrouvez le Quid de Philippe Trétiack dans le numéro 427 d’AA, disponible ici.